Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bord, toutes les pointes saillantes de la côte. Mon désappointement fut complet. Lorsqu’après cette longue bordée je revis la terre, je reconnus à mon extrême regret la pointe que j’avais quittée il y avait quatre jours. Les courans m’avaient violemment entraîné dans l’ouest. Je n’ai, grâce à Dieu, jamais manqué de persévérance. Je recommençai donc à louvoyer de plus belle, et le 29 janvier je parvins à reconnaître la pointe de Rio-Grande, qui se trouve à cinq lieues environ au sud du cap San-Roque. A partir de ce jour cependant, les vents devinrent de plus en plus contraires, les courans augmentèrent de vitesse. Il fallut renoncer à doubler le cap San-Roque, et, cette résolution prise, il ne me restait plus qu’à retourner à Cayenne.

Je ne voulais pas revenir les mains vides, et je résolus d’aller m’établir en croisière sur la route que suivent les navires qui, de San-Luis de Maranhao, se rendent aux embouchures du Para et du fleuve des Amazones. Il ne me fallut qu’une semaine de bon vent pour franchir les deux cent cinquante lieues qui me séparaient de cette partie de la côte d’Amérique. Le 13 février, je m’emparai d’une goélette portugaise, chargée de coton et de riz, que j’expédiai aussitôt pour Cayenne sous le commandement d’un second chef de timonerie. J’eus soin que nos prisonniers fussent bien traités, et j’appris d’eux, grâce à ces ménagemens, qu’un grand trois-mâts portugais, armé de vingt-quatre canons de 8, et destiné aussi pour le Para, avait dû sortir de San-Luis peu de jours après la goélette. Gonflant dans son artillerie, ce bâtiment, dont la cargaison était d’une grande valeur, naviguait sans escorte. Nos prisonniers ne m’avaient pas trompé. Après deux jours d’attente, les vigies signalèrent l’apparition d’un magnifique trois-mâts qui cinglait sous toutes voiles vers l’entrée du Para. J’avais déguisé le Milan de façon à lui donner toute l’apparence d’un navire de commerce; je n’en mis pas moins le cap au large, pour ne pas effaroucher trop tôt une si belle proie, et je pris soin de gouverner de manière à ne laisser voir à l’ennemi que notre poupe, sans lui montrer nos sabords et notre artillerie. Le trois-mâts donna complètement dans le piège. Aussitôt qu’il nous eut dépassés, je revirai de bord et je courus sur lui. Au premier coup de canon, il amena. Nous mettions nos embarcations à la mer pour l’amariner, lorsqu’un grain violent, accompagné d’une pluie torrentielle, vint nous assaillir. On ne se voyait plus de l’avant à l’arrière du bâtiment. Le trois-mâts portugais, qui avait mis en panne en même temps que nous, et qui attendait, victime résignée, l’arrivée de ses capteurs, trouva l’occasion bonne pour recouvrer sa liberté. Il laissa arriver, et lorsque le grain fut passé, nous le vîmes qui fuyait devant nous à toute vitesse. Nous