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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/270

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pas en vue que déjà la sonde n’accuse plus que six ou sept brasses d’eau. Sur certains points, la mer déferle avec violence : on dirait un brisant; sur d’autres, elle se soulève pesamment et sans force comme une mer de bitume. Ces inégalités sont causées par la nature du fond. Dans le premier cas, la lame se heurte à des alluvions de vieille date; dans l’autre, elle remue une boue liquide qu’elle tient en suspension et dont le poids l’apaise et l’alourdit. C’est sur ces bancs de vase molle qu’il faut avoir soin de jeter l’ancre quand on veut attendre la marée favorable pour donner dans le port. Sur les bancs de vase dure, on se trouve en péril dès que survient un de ces phénomènes, si fréquens pendant l’hivernage, qu’on appelle un ras de marée.

Le port de Cayenne n’est point d’ailleurs d’un accès facile. On n’y arrive que par un chenal étroit dont la profondeur varie presque chaque année, et dans lequel par conséquent il est impossible de s’engager sans pilote. Ce port reçut autrefois des frégates; en 1796, des corvettes y pouvaient à peine pénétrer. Il n’admet plus aujourd’hui que des bâtimens de quatorze ou quinze pieds de tirant d’eau. Il offre heureusement aux navires qui arrivent du large, ou qui viennent de doubler le cap d’Orange et l’embouchure de l’Oyapock, un excellent point de reconnaissance. C’est un rocher remarquable, élevé de cinquante mètres environ, qu’on aperçoit de huit ou dix lieues lorsque le temps est clair, et qui porte le nom de Grand-Connétable. Le Petit-Connétable est un autre rocher, presqu’à fleur d’eau, séparé du premier par un canal d’un mille et demi à peu près de large. Outre ces sentinelles avancées, qu’on rencontre à vingt-cinq ou vingt-six milles dans le sud-est de Cayenne, l’entrée même du port est signalée par cinq îlots déjà visibles à quatorze ou quinze milles de distance : ce sont les îlots, ou, pour parler le langage des colonies, les îlets du Père et de la Mère, des Deux-Filles et du Malingre. Tel est l’ensemble des parages vers lesquels nous nous dirigions, traînant après nous le mât de hune et l’affût qui nous tenaient lieu de gouvernail.

Dès que nous eûmes dépassé les bouches de l’Amazone, je me crus au bout de mes peines. Notre gouvernail de fortune fonctionnait assez bien et nous permettait non-seulement de marcher à peu près en ligne droite, mais même, ce que j’aurais à peine osé espérer, de virer de bord. Le 21 février, je pris connaissance du cap d’Orange, pointe basse, couverte de palétuviers plus élevés que ceux des autres parties de la côte, qui forme à vingt lieues environ dans le sud-est de Cayenne la limite méridionale de l’embouchure de l’Oyapock. La nuit allait se faire lorsque nous arrivâmes en vue des îlots qui signalent les approches de Cayenne. Le temps avait