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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/293

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chambre, à la place qu’elle-même nous avait désignée, toutes choses étant préparées à cette fin.

« Et versant bien des larmes, avons signé tous deux ici, faisant encore serment de n’avoir certifié que l’exacte vérité.

« Adam Stenson, Karine Boetsoï. »

Le pasteur avait lu ces simples pages avec tant de franchise et d’onction que les femmes pleuraient, et que les hommes, touchés et convaincus, acclamèrent par trois fois le nom de Christian de Waldemora, et s’empressèrent autour de lui pour le féliciter et lui serrer les mains ; mais les héritiers (il faut toujours excepter de cette mauvaise bande le vieux comte de Nora et son fils) déclarèrent qu’ils exigeaient la comparution de Karine Bœtsoï, ayant peut-être recueilli, on ne sait d’où, l’avis que cette femme existait encore et qu’elle était folle. C’était pour eux un témoignage à récuser ; aussi le major redoutait-il beaucoup sa présence, et se hâta-t-il de dire qu’elle était malade et demeurait fort loin. Une voix rude, quoique bienveillante, l’interrompit : c’était celle du danneman Joë Bœtsoï.

— Pourquoi dire ce qui n’est point, monsieur le major ? s’écria le brave homme : Karine Bœtsoï n’est ni si malade, ni si loin que tu crois. Elle a dormi ici, et à présent qu’elle est reposée, son esprit est aussi clair que le tien. Ne crains pas de faire venir Karine Bœtsoï. Il est bien vrai que la pauvre âme a souffert, surtout depuis le jour où il a fallu se séparer de l’enfant ; mais si elle dit des choses que l’on ne peut pas comprendre, elle n’en a pas moins la tête bonne et la volonté sûre, car jamais personne n’a pu lui arracher son secret, pas même moi, qui ai connu l’enfant, et qui viens d’apprendre ici son nom et son histoire pour la première fois de ma vie. Or une femme qui sait garder un secret n’est pas une femme comme une autre, et quand elle parle, on doit croire ce qu’elle dit.

Puis, ouvrant la porte de la chambre de garde : — Viens, ma sœur, dit-il à la voyante, on a besoin de toi ici.

Karine entra au milieu d’un mouvement de curiosité. Sa pâleur et sa précoce vieillesse, son regard étonné, sa démarche incertaine et brusque causèrent d’abord plus de pitié que de sympathie. Cependant à la vue de tout le monde elle se redressa et s’affermit. Sa physionomie prit une expression d’enthousiasme et d’énergie. Elle avait ôté de dessus ses vêtemens de paysanne la pauvre robe grise, ce haillon précieux avec lequel elle ne s’endormait jamais, et ses cheveux blancs comme la neige étaient rigidement relevés par des cordons de laine rouge qui lui donnaient je ne sais quel air de sibylle antique.

Elle approcha du ministre, et, sans attendre qu’on l’interrogeât,