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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/299

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M. Goefle, que votre mère était dissidente. Il plaidera avec plus de conviction qu’elle ne l’était pas, et vous-même, si vous êtes dissident, ne le faites point paraître, ou vous ne pourrez pas triompher de vos ennemis !

— Hélas ! dit Christian, la richesse vaut-elle les peines que je vais prendre, la dissimulation que l’on me recommande, et les indignations qu’il me faudra contenir ? Je n’avais rien, Stenson, pas même une obole en entrant ici, il y a trois jours ! J’avais le cœur léger, j’avais l’esprit libre ! Je ne haïssais personne, personne ne me haïssait, et à présent…

— À présent vous serez moins libre et moins heureux, je le sais, répondit gravement le doux et austère vieillard ; mais beaucoup de gens qui ont souffert peuvent être consolés et soulagés par vous. Si vous songez à cela, vous aurez le courage de lutter.

— Bien dit, mon cher Stenson ! s’écria M. Goefle, qui venait de se lever et d’entendre les dernières paroles du pieux serviteur : quiconque accepte des devoirs prête ses pieds à des chaînes et son âme à des amertumes. Reste à savoir si l’homme qui s’est trouvé en face du devoir au plus beau moment de sa force, et qui s’est détourné pour le fuir, peut encore être heureux par l’insouciance et se dire content de lui-même.

— Vous avez raison, mon ami, dit Christian, faites de moi ce que vous voudrez. Je vous jure de suivre tous vos conseils.

— Et puis, ajouta M. Goefle en baissant la voix, Marguerite sera, je crois, une compensation assez douce à la vie de grand seigneur !

Il fut décidé par M. Goefle que Christian quitterait Waldemora, où il n’avait aucun droit à faire valoir avant la décision du comité secret de la diète, pouvoir mystérieux, spécial et privilégié qui s’attribuait le droit d’évoquer les causes pendantes aux cours ordinaires, et spécialement les affaires de la noblesse ; Christian suivrait son avocat à Stockholm pour faire sa demande et solliciter une décision.

Tous deux se rendirent au presbytère, où Christian, après avoir fait ses remerciemens affectueux et respectueux au ministre Akerström, le nomma curateur de ses biens, autant qu’il dépendait de lui, et dans la prévision très juste que ce choix serait ratifié par le tribunal de la noblesse. Il ne put être seul un instant avec Marguerite, et quand même il eût pu lui parler librement, il n’eût pas voulu lui demander de s’engager à lui avant d’être sûr de ne pas redevenir Christian Waldo ; mais Marguerite ne douta ni de ses intentions ni de son succès, et partit pour sa retraite avec les espérances de la jeunesse et la foi d’un premier amour.

Christian refusa d’aller déjeuner au château neuf avec le major et ses amis. Ils comprirent sa répugnance, et vinrent dîner au gaard