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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/30

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— Eh bien ! ne vous tourmentez pas, je trouverai, moi, c’est mon affaire. Allons, soyez calme, vous surmonterez encore cette crise-là. Je vous envoie Jacob.

Johan sortit. Le baron, épuisé de l’effort qu’il venait de faire, perdit connaissance dans les bras de Jacob, et le médecin, précipitamment rappelé, eut beaucoup de peine à le faire revenir. Puis le malade recouvra une énergie fébrile.

— Ôtez-vous de là, docteur, dit-il, votre figure m’ennuie… Vous êtes laid ! tout le monde est laid !… Il est beau, lui, à ce qu’on prétend ; mais cela ne lui servira de rien… Quand on est mort, on devient vite affreux, n’est-ce pas ?… Si je meurs avant lui pourtant,… j’ai envie de lui léguer ma fortune… Ce serait drôle ! mais si je vis, il faut bien qu’il meure, il n’y a pas à dire ! Répondez-moi donc, docteur ! est-ce que vous me croyez fou ?

Le baron, après avoir encore divagué quelques instans, tomba dans une somnolence brûlante. Il était alors six heures du soir. La société du château venait de se mettre à table pour l’aftonward, ce léger repas qui précède le souper.

Nous sommes désolé de faire passer nos lecteurs par tant de repas, mais nous ne serions point dans la réalité si nous en supprimions un seul. Nous sommes forcé de leur rappeler que c’est l’usage général du pays de manger ou de boire de deux en deux heures, et qu’au siècle dernier personne ne s’en écartait, surtout à la campagne et dans la saison froide. Les jolies femmes ne perdaient rien de leur poésie, aux yeux de leurs admirateurs, pour montrer un excellent appétit. La mode n’était pas d’être pâle et d’avoir les yeux cernés. L’éclatante et fine carnation des belles Suédoises n’ôtait rien à leur empire sur les cœurs et sur les imaginations, et, pour n’être pas romantique, la jeunesse des deux sexes n’en était pas moins romanesque. Donc la petite Marguerite et la grande Olga, la blonde Martina et plusieurs autres nymphes de ces lacs glacés, après avoir pris le café dans la grotte du högar, mangèrent du fromage à la crème dans la grande salle dorée du château, chacune rêvant l’amour à sa manière, aucune n’admettant le jeûne comme une condition du sentiment.

Les hôtes du château neuf n’étaient déjà plus aussi nombreux que dans les premiers jours de Noël. Plusieurs mères avaient emmené leurs filles en voyant que le baron Olaüs n’y faisait aucune attention. Les diplomates des deux sexes qui avaient avec lui des relations d’intérêt, et les héritiers présomptifs, que le baron avait coutume d’appeler, quand il plaisantait en français sur leur compte, ses héritiers présomptueux, tenaient bon, en dépit de la tristesse qui se répandait autour de lui. La comtesse Elvéda s’impatientait