Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y passer la nuit avant de retourner à Waldemora, où Marguerite était en visite d’une quinzaine au presbytère.

On voulait emmener Christian tout de suite ; mais d’une part il n’était pas aussi libre de l’emploi de ses heures qu’on le supposait, de l’autre il tenait, plus qu’il ne convenait peut-être à un homme aussi raisonnable, à se revêtir d’un habillement grossier, mais irréprochablement propre. On se donna rendez-vous pour le soir, et Christian, ému et heureux, retourna à ses travaux.

Là pourtant des pensées tumultueuses se combattirent en lui-même. Devait-il donc s’obstiner à nourrir l’espoir chimérique d’un amour partagé ? Marguerite avait trop d’élan et de franchise dans son affection pour lui : ce ne pouvait être là que de l’amitié paisible, sans trouble dans l’âme et sans rougeur au front. L’amour pouvait-il être si spontané, si courageux, si expansif ? Il s’accusait de présomption et de folie. Et puis tout aussitôt il s’accusait d’ingratitude : une voix intérieure lui disait que, quel que fût son sort, il trouverait toujours Marguerite résolue à le partager.

Il quittait définitivement son travail, et, préférant de beaucoup le tonneau et la poulie, qui ne lui causaient aucun vertige, au long trajet des escaliers et des pentes, il s’apprêtait à remonter, en un instant, du sombre abîme à l’entrée par où l’on apercevait un coin du ciel encadré de sorbiers et de lilas, lorsqu’il se trouva en présence d’un mineur qu’il avait déjà rencontré la veille dans sa circonscription, et qui n’appartenait point à la brigade dont il avait fait partie d’abord et qu’il dirigeait maintenant.

Cet homme n’était pas connu des compagnons de Christian. Noirci avec excès, soit par négligence, soit par affectation, et coiffé d’une guenille de chapeau pendant de tous les côtés autour de sa tête, il n’était pas aisé de se faire une idée de sa figure. Christian n’avait pas cherché à la voir. Il pouvait être de ceux qu’on appelle les travailleurs honteux (comme on dit les pauvres honteux pour exprimer précisément le contraire de la honte, qui est la fierté silencieuse). Il respecta donc l’air mystérieux de cet inconnu, et, après avoir donné le coup de sifflet d’usage pour avertir ceux qui manœuvraient la poulie, il se contenta de lui montrer une place à côté de lui dans le tonneau, supposant qu’il voulait remonter aussi ; mais l’inconnu sembla hésiter. Il mit ses mains sur le bord du tonneau comme s’il eût voulu s’y élancer, puis il s’arrêta en ayant l’air de chercher quelque chose.

— Vous avez perdu un outil ? lui dit Christian, qui remarqua qu’il était assez gros et lourd, et qu’il n’avait rien de la tournure dégagée d’un mineur habitué à se servir du tonneau.

À peine eut-il parlé que l’inconnu, comme s’il eût voulu entendre