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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/309

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— La corde s’est cassée, lui répondit l’un d’eux en jurant très haut et en feignant de déplorer l’événement, tandis que l’autre, se penchant à son oreille, disait à Christian : Silence ! Nous l’avons lâchée !

— Quoi ! vous avez précipité ce malheureux… ce fou…

— Ce malheureux n’était pas fou, répondit le manœuvre. Il cherchait depuis trois jours l’occasion de se trouver seul auprès de toi. Nous le guettions, nous avons vu ce qu’il voulait faire. Nous t’avons descendu à tout hasard un autre tonneau, et, quant à celui où il est, c’est un tonneau gâté, voilà tout !

Christian savait que, dans les mines, à cette époque, on pratiquait la justice expéditive et directe. Il n’en avait que plus de regret et d’inquiétude de ce qui venait de se passer, parce qu’il savait aussi que les gens qui entrent, à un certain âge, dans ce monde souterrain sont quelquefois pris d’accès de fureur involontaire. Il se fit redescendre avec Stangstadius, qui prétendait avec raison connaître ces accidens-là, ex professo. Deux mineurs se firent descendre aussi pour constater le fait, disaient-ils, mais en réalité pour faire disparaître le cadavre sans avoir d’explication à donner aux inspecteurs de la mine.

— Ma foi ! dit Stangstadius dès qu’à la lueur des torches il eut examiné le misérable corps, son affaire est faite ! Il a eu moins de bonheur que moi ; mais, par le ciel ! je jure de dresser un rapport sur l’emploi des cordes dans la descente des tonneaux de mine. Ces accidens-là sont trop fréquents… Quand je songe que moi-même…

— Monsieur Stangstadius ! s’écria Christian, regardez cet homme… Ne le reconnaissez-vous pas ?

— C’est pardieu vrai ! répondit M. Stangstadius, c’est maître Johan, l’ex-majordome de Waldemora. Voilà une plaisante rencontre, hein ? … Alors il n’y a pas grand mal. Il avait fait des aveux en prison ; c’est lui qui a assassiné autrefois ce pauvre baron Adelstan… à propos ! oui, votre père, mon cher Christian. Ce Johan est un ancien mineur de Falun, un scélérat… Il paraît qu’il s’était évadé de sa dernière prison ; mais il était écrit dans sa destinée qu’il périrait par la corde.

Enchanté de ce bon mot, M. Stangstadius entraîna Christian hors de la mine, tandis que les mineurs, après avoir jeté le cadavre dans une sorte d’in pace bien connu d’eux, au plus profond des puits, s’occupèrent tranquillement à réparer le tonneau. Christian, qui avait un petit logement dans le village, courut s’habiller. Il trouva chez lui une lettre qu’un exprès venait d’apporter : elle était de M. Goefle :

« Tout est sauvé, disait-il ; le roi est bon comme je vous le disais,