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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/311

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lique beauté. La belle saison est courte dans cette région élevée, mais elle est splendide. La verdure est aussi éblouissante que les neiges, et la végétation prend un si rapide développement, que Christian croyait voir un autre site et un autre pays.

On resta dans la montagne jusqu’à six heures du soir. Il ne fut pas question de chasser l’ours, mais de cueillir sentimentalement des fleurs au bord des eaux courantes, et d’écouter le doux murmure ou les roulades impétueuses de toutes ces voix qui semblaient se hâter de chanter et de vivre avant le retour de la glace, où elles devaient encore être changées en cristal par les elfes du sombre automne.

Christian était bien heureux, et cependant il lui tardait de revoir Stenson ; mais M. Goefle ne voulait pas que l’on se remît en route à cause de la chaleur. Le soleil ne devait se coucher qu’après dix heures, pour reparaître trois heures après, dans un crépuscule étoilé, qui ne permet pas aux ténèbres d’envahir le ciel d’été. C’était une surprise que le bon avocat ménageait à Christian. Aussitôt que la fraîcheur commença, on vit arriver en carriole le vieux Stenson triomphant et rajeuni ; grâce à la chaleur de la saison, et peut-être aussi à la joie et à la confiance, il n’était presque plus sourd. Il apportait le décret du comité de la diète, qui reconnaissait les droits de Christian, et une lettre de la comtesse d’Elvéda, qui autorisait secrètement M. Goefle à disposer de la main de sa nièce en faveur du nouveau baron de Waldemora.

En revenant au château avec son oncle Goefle, Christian, qui voyait avec délices la joyeuse réunion de ses dignes amis se dérouler en voiture sur les méandres du chemin pittoresque, fut pris, au milieu de sa joie, d’un accès de mélancolie.

— Je suis trop heureux, dit-il à l’avocat ; je voudrais mourir aujourd’hui. Il me semble que la vie où je vais entrer sera une agression perpétuelle au bonheur simple et pur que je rêvais.

— C’est fort possible, mon enfant, répondit M. Goefle. Il n’y a que les romans qui finissent par l’éternelle formule : « Ils moururent tard et vécurent heureux. » Vous souffrirez au contact de la vie publique, terriblement agitée en ce temps-ci, surtout dans les hautes régions sociales où vous entrez. Je ne sais quels événemens étranges se préparent. J’en ai senti comme une révélation dans la dernière entrevue que le roi m’a accordée. Ce jour-là, il m’est apparu à la fois grand et redoutable. Je crois qu’il médite une explosion qui remettra bien des gens à leur place ; mais pourra-t-il et voudra-t-il les y maintenir ? Les révolutions qui devancent le travail du temps et des idées peuvent-elles fonder quelque chose de durable ?

— Pas toujours, dit Christian ; mais elles plantent des jalons dans