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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/35

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notre comédie d’hier soir, nous avons peut-être mis, sans nous en douter, le feu aux poudres. Le baron se doute de quelque chose relativement à vous, et si vous m’en croyez, vous allez vous faire malade, et vous n’irez pas au château neuf.

— Oh ! pour cela, je vous demande pardon, monsieur Goefle, mais rien de la part du baron ne saurait m’effrayer. Si j’ai le bonheur de ne point lui appartenir, je me sens tout disposé à le braver et à tordre vigoureusement la main qui se permettrait de soulever seulement la tapisserie de mon théâtre pour me voir, s’il me plaît de garder encore l’incognito. Songez donc que j’ai tué deux ours aujourd’hui, et que cela m’a un peu excité les nerfs. Allons, allons, pardon, cher oncle, mais il se fait tard, j’ai à peine deux heures pour préparer ma représentation. Je vais chercher un canevas dans ma bibliothèque, c’est-à-dire au fond de ma caisse, et vous me ferez bien le plaisir de le jouer tel quel avec moi.

— Non, Christian, je n’y ai pas la tête aujourd’hui. Je ne me sens plus fabulalor, mais avocat, c’est-à-dire chercheur de faits réels jusqu’à la moelle des os ! Votre valet Puffo n’est pas trop gris, à ce qu’il m’a semblé ; il doit être par là dans le gaard. Tenez, je sors, et je vais en passant l’appeler pour qu’il vous aide. Puisque vous voulez encore fabulare aujourd’hui,… il n’y a peut-être pas de mal,… ça vous occupera, et ça peut détourner les soupçons. Puffo vous est dévoué, n’est-ce pas ?

— Je n’en sais rien.

— Mais si l’on vous cherchait querelle, il ne vous planterait pas là ? Il n’est pas lâche ?

— Je ne crois pas ; mais soyez donc tranquille, monsieur Goefle. J’ai là le couteau norvégien que l’on m’a prêté pour la chasse, et je vous réponds que je me ferai respecter sans l’aide de personne.

— Méfiez-vous d’une surprise. Je ne crains que cela pour vous ; moi, je ne peux plus rester en place ! Depuis que vous m’avez parlé d’un enfant élevé en secret chez le danneman,… d’un enfant qui avait les doigts faits comme les vôtres…

— Bah ! dit Christian, j’ai peut-être rêvé tout cela, et il faut à présent que tout cela se dissipe. Je vois au fond de leur boîte mes pauvres petites marionnettes que je vais faire parler pour la dernière ou l’avant-dernière fois, car il n’y a que cela de réel et de sage dans les réflexions de ma journée, monsieur Goefle. Je quitte la marotte, je prends le marteau du mineur, la cognée du bûcheron, ou le fouet de voyage du paysan forain. Je me moque de tout le reste ! Que je sois le fils d’un aimable sylphe ou celui d’un méchant iarl, peu importe ! Je serai le fils de mes œuvres, et c’est trop se