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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/375

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vre antique sous le palimpseste. Condamner la tradition au nom des lois de la raison pure, refaire l’histoire sur le type éternel de l’esprit humain, telle devait être la tentative hardie de Niebuhr. Chercher au contraire partout les sources de l’histoire, et accepter dans la légende même ce qui est en définitive la véritable histoire, c’est-à-dire ce qu’ont voulu, aimé et senti les hommes d’autrefois, c’est ce qu’essaya de faire M. Thierry. Entre ces deux méthodes, il y a, selon nous, la différence de la vie à la mort.

On croyait alors que tout était à faire dans l’histoire, on a même dit souvent que là seulement s’ouvrait pour nous un sentier encore inexploré. Peut-être en effet est-ce le privilège des vieilles nations, comme des vieilles gens, d’aimer et de savoir raconter le passé ; peut-être est-ce alors que la vie se glace et s’étiole que nous apparaît plus vif le sentiment de l’existence que nous allons perdre, semblable à ces doux soleils d’automne qui font penser à l’été et craindre l’hiver. L’histoire d’une nation serait-elle comme ces drames dont le nœud ne devient intelligible que lorsque le rideau va se baisser sur les acteurs, et l’illusion sur les siècles passés ne serait-elle que l’heureuse ignorance de Psyché, qui ne peut connaître son bien sans le perdre au même instant ? Nous ne voulons pas croire, pour notre compte, que la mort arrive sur les pas de l’expérience : on ne le croyait pas non plus alors ; mais on venait de vivre d’une vie trop intense, d’assister à trop de changemens, pour ne pas aspirer à se reposer dans le passé, qui ne change pas. Toute l’activité intellectuelle de cette époque se concentra bientôt dans le passé. Que restait-il donc à faire dans le domaine de l’histoire ? Non pas autant peut-être que l’ont cru les ardens réformateurs de cette époque. Quoi qu’ils en aient pu dire, la critique historique existait depuis deux siècles ; elle avait eu à faire ce que la science pressée de notre âge ne saurait pas recommencer, ce premier débrouillement des archives et des chartes poudreuses qui a été comme la période cyclopéenne de la science historique, informe, mais indestructible. D’autre part, si les modernes ne fournissaient pas de nombreux modèles à imiter pour l’art de la composition historique, l’antiquité en avait laissé de désespérans, et Gibbon venait récemment de tracer un vaste tableau qui, pour la grandeur et les proportions du sujet, n’a pas été surpassé.

Que manquait-il donc à tant de matériaux entassés ? Il y manquait la vie, la vie dont le moindre document renferme une parcelle, mais dont il faut retrouver l’unité. Il y a des nations dont l’histoire vit pour ainsi dire d’elle-même, parce que leur génie spontané et original respire dans toutes leurs œuvres ; mais tous les peuples n’ont pas eu, comme les Grecs, le magnifique privilège de voir s’épa-