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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/381

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nous sommes, disait-il, entre la liberté que nous voulons et des lois faites sous l’esclavage. » Dans un temps où les plus ardens de son parti opposaient au libéralisme inquiet de la restauration le despotisme égalitaire de l’empire, il ne voulut jamais descendre à cette complaisance fatale pour des opinions qu’il répudiait. Sévère, on pourrait dire injuste pour la révolution d’Angleterre, il avait plus d’admiration pour les tentatives avortées du tiers-état de France que pour le grave entêtement des communes anglaises à défendre leur bourse contre les exactions de leurs rois, et de plus profondes études sur l’Angleterre modifièrent assez peu ce point de vue, qui tenait chez lui à ce qu’il considérait alors la liberté plutôt comme un sentiment que comme un intérêt. Alors aussi les espérances de l’avenir jetaient un brillant reflet sur le passé ; tout semblait annoncer l’aurore d’une liberté expansive que la France ferait pénétrer par son exemple jusqu’aux extrémités du monde, et nous ne trouvons pas, nous l’avouons, de paroles sévères pour cet orgueil national, trop prompt chez nous à s’humilier sous le poids de ses fautes, comme aussi à les oublier. M. Thierry aimait les héros et les martyrs de la liberté, Sidney, Russell, La Fayette ; il ne goûtait que médiocrement les politiques, et pour lui Guillaume III n’était qu’un Napoléon plus sensé. Du reste, avec cette bonne foi parfaite qui aime mieux justifier ses intentions que ses idées, il disait lui-même plus tard, en parlant de la révolution de 1830 : « Si je m’étais trouvé avec mes opinions de vingt-quatre ans en présence de cette révolution et de ses résultats politiques, j’aurais certainement porté sur elle un jugement aussi partial et aussi dédaigneux ; l’âge m’a rendu moins enthousiaste des idées et plus indulgent pour les faits. » Dans toutes ces opinions, on peut trouver de l’exagération et des erreurs ; elles ne sont point, en somme, celles d’un utopiste ; elles sont toutes empreintes du vrai libéralisme, de celui qui n’accepte et n’admire aucune tyrannie. Les grandes lignes sont pures et généreuses. Heureux qui, à la fin de sa carrière, peut se rendre comme lui ce témoignage !

En 1820, l’assassinat du duc de Berry amena le rétablissement de la censure, et le Censeur européen fut une de ses premières victimes. Au moment où M. Thierry vit se fermer devant lui ce moyen de publicité, ses études venaient de prendre une direction plus décidément historique, qu’il n’a plus quittée depuis. Il lisait la grande collection des historiens des Gaules et de France, et dès lors mûrissait dans son esprit le dessein de réformer en France les études historiques. Le propre des novateurs n’est pas généralement le respect de leurs devanciers : M. Thierry leur déclara une guerre à mort, et ils ne le trouvèrent pas clément. Avec toute l’ardeur d’un