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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/398

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rités qui soient à la fois saisies et appliquées. D’autres sont venus après M. Thierry qui ont analysé là où il avait découvert ; mais le mouvement et l’invention lui appartiennent, et c’est quelque chose que d’avoir remué les âmes avec la seule passion de la vérité, soutenue par un immense talent. On peut dire qu’Augustin Thierry était l’histoire vivante. Chez lui, tout était mémoire et souvenir, et les idées les plus diverses prenaient dans son esprit cette teinte dorée semblable à la chaude couleur des vieux tableaux. Il retrouvait toujours toute son ardeur et toute sa force pour raconter ; il semblait la voix même du passé. Tout l’amusait et l’intéressait. En littérature comme en toute chose, M. Thierry vivait beaucoup par le souvenir. Obligé de lire par les yeux des autres, il se concentrait de plus en plus dans ses travaux historiques. Il avait assisté aux grandes joutes littéraires de la restauration, et avec cet instinct naturel qui l’empêcha lui-même de sacrifier au mauvais goût, il fit toujours une juste distinction entre le talent des écrivains de l’école romantique et les prétentions qu’ils affichaient. La Revue des Deux Mondes le tenait au courant des choses qui l’intéressaient le plus, et il se faisait lire exactement les diverses publications qui lui étaient envoyées en grand nombre. Peut-être la pure littérature avec ses horizons bornés aux choses de cette terre n’était-elle pas une distraction suffisante à ses travaux et surtout à ses souffrances. L’art qui, dans sa portée infinie, fait penser à tout sans rien exprimer de précis devait contenter plus naturellement les goûts d’une âme dont la vie était plus dans le passé et dans l’avenir que dans le présent : la musique le ravissait. Il la sentait en enfant et la jugeait en artiste, n’en aimant que le plus pur et le plus exquis. Il sentait par l’âme tout ce qu’il ne pénétrait pas par l’intelligence.

M. Thierry a été un des premiers dans cette phalange d’esprits généreux qui, dans la première moitié de ce siècle, ont convié la France aux idées nouvelles. Trois révolutions ont passé sur leurs œuvres, et ce qu’ils ont aimé a disparu dans une tempête. À voir cependant la place qu’ils ont gardée dans l’opinion de leur pays et l’attention que commandent encore leurs écrits, aussi bien les nouveaux que les anciens, on peut se demander s’ils n’ont pas réellement entrevu et cherché ce qui devait convenir à la destinée de leur siècle, et s’ils n’ont pas même été les pionniers d’un avenir encore éloigné. Ils ont cherché le progrès dans le bon et dans le vrai, et dût ce progrès s’arrêter aujourd’hui, dussent les idées qu’ils ont défendues ne pas leur survivre, il est permis de croire qu’il vaut mieux succomber avec de pareilles armes que de vaincre avec les armes contraires.


Edmond de Guerle.