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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/462

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blir leur rôle. Frank Winchester, George Fielding, Meadows, tous sont poussés vers un certain but par la passion, et même au fond de l’ardente charité de M. Eden on découvre l’intarissable regret d’un amour vaincu par la mort, comme à la source de la corruption de Tom Robinson se trouve la rage provoquée par un amour trahi. Le but de George Fielding est, on le sait, Susan Merton. Pour gagner les mille guinées qu’il doit rapporter au père de sa fiancée, George suit Frank Winchester en Australie. Au début, il tente les chances de la vie pastorale, et se trouve bientôt ruiné; survient Tom Robinson, qui, d’après une expérience déjà acquise en Californie, où il a fait un assez long séjour, lui propose de mener la vie du chercheur d’or. George résiste pendant longtemps; il s’acharne à vouloir arriver à son but par ce qu’il appelle « un labeur honnête. » Une circonstance fortuite cependant vient à l’appui des idées de Robinson, et un petit gisement aurifère est découvert. A dater de ce moment, on le devine, il n’est plus question du commerce des troupeaux, et toutes les énergies se concentrent sur l’acquisition du métal précieux. Ici se trouvait un écueil que M. Reade a fort bien reconnu et évité. Il eût été d’une moralité douteuse de faire échouer tous les efforts honnêtes et consciencieux de George, et de lui laisser devoir sa réussite à un coup du sort; aussi l’auteur a-t-il bien soin ici de proportionner la somme de ce qui se dépense à celle de ce qui se gagne, et de ne rien accorder à son héros que ce qui lui est largement dû en paiement de l’infatigable énergie qu’il déploie.

Non-seulement nos deux travailleurs ont à lutter contre la nature pour lui arracher son trésor et à se consumer dans des fatigues sans bornes et sans relâche, mais ils ont bientôt à lutter contre des dangers extrêmes qui les environnent à chaque pas. Ils ont des ennemis dans la mine, et ces ennemis deviennent vite les associés de l’agent de Meadows, dont le but est d’empêcher le retour de George en Angleterre, ou bien d’empêcher qu’il ne puisse emporter sa fortune avec lui. Une fois en effet ils sont volés, et tout est à recommencer. Trois ou quatre fois ils échappent à une mort qui paraît certaine; enfin c’est presque par miracle qu’ils parviennent à quitter l’Australie et à regagner l’Angleterre, où les intrigues de Meadows sont déjouées par la présence de George Fielding, et où celui-ci finit par épouser la femme pour laquelle il a vaillamment dépensé toute l’énergie dont la nature l’avait doué, et pour laquelle il a été constamment prêt à sacrifier son existence, convaincu que l’existence sans cette femme ne valait pas qu’on prît la peine de la conserver.

Ne serait-il pas à propos de sérieusement examiner si ce n’est point là ce qui s’appelle bien employer sa jeunesse, si ceux qui osent ainsi « prodiguer la vie » ne sont pas les vrais sages, si de pareilles « prodigalités, » en centuplant la valeur de l’homme, ne