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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/498

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une ombre épaisse, usé de contrastes en un mot, c’est-à-dire emprunté avec discrétion sans doute, mais non sans dommage pour son œuvre, les recettes toujours un peu factices des coloristes de profession. Aussi, tout en mêlant alors notre éloge public aux félicitations presque unanimes que recevait l’auteur, nous ne pouvions nous défendre, à part nous, d’un certain regret involontaire, et depuis ce temps-là, chaque fois qu’au Luxembourg nous revoyons ces Femmes souliotes, notre plaisir est plus ou moins troublé en les comparant à elles-mêmes, c’est-à-dire au tableau qui nous vient en mémoire dans sa fraîche pâleur et sa virginité.

Étions-nous donc de ceux qui voulaient que le peintre suspendît son travail, et, par respect pour sa pensée première, laissât sa toile inachevée ? Non, Scheffer avait raison, un frottis vaporeux, une apparence de modelé n’est vraiment pas de la peinture. Ce genre d’interprétation des objets est à peine acceptable dans les œuvres de dimension réduite ; l’échelle étant conventionnelle, le procédé peut l’être aussi ; mais lorsqu’on veut représenter les choses telles qu’elles sont, aussi grandes que Dieu les a faites, on doit en imiter franchement les surfaces, franchement et complètement, c’est-à-dire modeler et colorer. Il faut donc être coloriste quand on veut être peintre ? Il le faut de toute nécessité. Mais n’est-on coloriste que d’une seule façon ? C’est là le point à éclaircir. Ne dirait-on pas qu’il existe un prototype du modelé et de la couleur, que le procédé en est invariable, absolument déterminé par la manière dont certains maîtres ont compris et rendu les effets de lumière et d’ombre ? Celui-là seul passera-t-il pour coloriste qui cherche à monter sa palette au même ton, à la même puissance que Rubens ou Rembrandt, qui donne aux reliefs toute la saillie possible, qui vise à l’illusion, au trompe-l’œil ? Pour notre part, nous ne le pensons pas. Nous admirons, autant que qui que ce soit, les magiques beautés de ces rois de la couleur : nous aimons jusqu’à leurs excès, parce qu’il n’y a rien dans leurs œuvres qui puisse en être compromis, parce qu’ils n’aspirent qu’à nous peindre la vie, l’âme extérieure de ce monde ; mais s’ils avaient une autre prétention, s’il était dans leur génie de parler à l’esprit en même temps qu’aux yeux, s’ils avaient à nous communiquer les mystérieux secrets de la vie invisible, oseraient-ils nous inonder de cette lumière éblouissante ? Nous imposeraient-ils ce modelé qui provoque et harcelle notre attention ? Non, Rubens aussi bien que Rembrandt seraient les premiers à s’en défendre. Ils chercheraient une manière plus calme d’éclairer les objets, d’accuser les reliefs, une couleur en harmonie avec l’effet complexe qu’ils auraient à produire. Autre chose est donc la couleur des coloristes purs, des peintres qui renoncent à tout un côté de