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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/516

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Un tel geste, un tel regard ne se font pas à deux fois. Quelle puissance et quelle bonté ! Cette tête est vraiment divine, et pourtant, faut-il le dire ? la draperie l’est peut-être plus encore. Nous demandons grâce pour ce détail. Les draperies, dans les arts du dessin, sont de vraies pierres de touche. On a dit de Raphaël que, quand on couperait toutes ses têtes, il n’en resterait pas moins, seulement par ses draperies, le premier peintre du monde. Voyez, quand le goût se corrompt, c’est par les draperies que se trahit la décadence, et dès que l’art reparaît, c’est encore au jet des draperies qu’on reconnaît son retour. Ceux qui donnent quelque attention à ces sortes de choses, qui devant des tableaux font plus que regarder, qui étudient et comparent, ont-ils bien remarque dans les œuvres de Scheffer, surtout dans la série qui commence aux Saintes Femmes, combien l’art de draper fait à vue d’œil de continuels progrès ? Chose étrange que cette condition vitale du grand style tombant du ciel, pour ainsi dire, et prospérant ainsi chez un homme isolé qui tire tout de son propre fonds, et qui semble, au premier aspect, gouverné par le seul sentiment, tandis que chez tant d’autres elle végète et se soutient à peine malgré les préceptes d’école et les secours de la tradition ! La draperie de ce Christ sur la montagne restera certainement comme un modèle dans notre école, et le tableau lui-même comme un type nouveau de notre art religieux.

Dans le Christ au roseau, le type est à peu près le même, plus tendre, plus touchant, plus indulgent, comme la scène le comporte ; du reste, pas la moindre recherche d’originalité extérieure : c’est la pose traditionnelle, la figure à mi-corps, derrière le balcon de pierre, et même dans les accessoires, dans la figure qui soulève le manteau d’écarlate, on trouve un souvenir non déguisé des maîtres vénitiens. Ce qu’il y a de neuf dans cette toile, ce qui lui donne une incomparable puissance, et ce qui pour Scheffer est comme le dernier triomphe de sa persévérance, c’est la splendide vie qui rayonne de cette poitrine que la victime montre nue à ses bourreaux, de cette poitrine en pleine lumière que le Corrège ne désavouerait pas. Il semble que le Sauveur, avant de quitter la vie, ait voulu en revêtir toute la magnificence : c’est de la chair déifiée. Le coloris ainsi compris n’est plus une affaire de palette ; il procède de l’esprit, il prête un mystérieux concours à l’expression de la pensée en même temps qu’il ravit les yeux.

Il faut nous arrêter, l’artiste a rempli sa tâche. Allons-nous maintenant, comme c’était notre dessein, essayer de faire connaître, non plus l’artiste, mais l’homme ? En vérité nous hésitons. Si dans l’histoire de son talent, pour suivre ses évolutions, nous avons dû promener nos lecteurs dans des circuits sans fin, nous risquerions de