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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/594

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Un silence suivit. Je continuais à tenir sa main dans la mienne en la regardant. Elle était toujours ramassée sur elle-même ; sa respiration était précipitée ; elle mordait légèrement sa lèvre inférieure pour ne point pleurer, pour retenir les larmes qui roulaient dans ses yeux… Je la regardais toujours ; il y avait en elle une immobilité tellement étrangère à toute idée de résistance que j’en fus profondément touché. On eût dit qu’elle s’était jetée, épuisée de fatigue, sur cette chaise, d’où elle ne bougeait pas. Je sentis mon cœur se fondre.

— Anouchka, lui dis-je à voix basse.

Elle leva lentement ses yeux sur moi… O regard d’une femme qui commence à aimer, comment te décrire ?… Ils suppliaient, ces yeux ; ils exprimaient la confiance, l’inquiétude, l’abandon… Impossible de résister. Je me penchai sur sa main… Un son frémissant, qui ressemblait à un sanglot brisé, se fit entendre, et je sentis sur mes cheveux le léger attouchement d’une main qui tremblait comme une feuille. Je levai la tête et aperçus sa figure. Comme elle était changée ! Cet air craintif s’était évanoui ; son regard se perdait et m’entraînait avec lui ; ses lèvres s’étaient un peu entr’ouvertes, son front avait la pâleur du marbre, et les boucles de ses cheveux étaient rejetées en arrière, comme si le vent les avait repoussées. J’oubliai tout ; je l’attirai vers moi, sa main s’y prêta doucement, tout son corps suivit ; son châle tomba de ses épaules, et sa tête s’inclina doucement sur ma poitrine, sous les baisers de mes lèvres brûlantes…

— À vous,… murmura-t-elle d’une voix mourante.

Tout à coup le souvenir de Gagine me frappa comme la foudre. — Votre frère… il sait tout,… m’écriai-je en me rejetant convulsivement en arrière… Il sait que nous sommes ensemble.

Anouchka retomba sur la chaise.

— Oui, lui dis-je en me levant, votre frère sait tout… J’ai été forcé de lui tout avouer.

— Forcé ? balbutia-t-elle. Il était facile de voir qu’elle n’était pas encore remise de son trouble ; elle ne me comprenait pas bien.

— Oui, oui, répétai-je avec une sorte de dureté, et vous seule êtes coupable, vous seule… Pourquoi avez-vous livré votre secret volontairement ? Qui vous obligeait à tout confier à votre frère ? Il est venu me trouver ce matin et me répéter la conversation qu’il avait eue avec vous (je tâchais de ne pas regarder Anouchka et marchais à grands pas dans la chambre) ; maintenant tout est perdu, tout, tout…

Anouchka voulut se lever.

— Restez ! m’écriai-je, restez, je vous prie. Vous avez affaire à