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Cent trente galères turques tombèrent aux mains des vainqueurs un grand nombre se brisèrent au rivage, ou furent incendiées. On porta jusqu’à trente mille hommes le nombre des Turcs tués ou prisonniers ; cinq mille esclaves chrétiens furent délivrés des fers et de la rame, et leur cri de joie semble retentir encore dans plus d’un éloquent souvenir de cet immortel Cervantes, qui combattait, soldat obscur alors, sur la flotte espagnole.

De cette défaite, aggravée par l’imprévoyance ottomane, il n’échappa guère, à la faveur de la nuit, qu’une section de la flotte turque, l’escadre d’Alger, commandée par le dey lui-même, indépendant du pacha turc, et manœuvrant de hardis navires, habitués aux écueils de ces mers et non moins alertes à la fuite qu’au pillage.

Ce fut même ce vassal peu docile de la Porte qui vint porter à Constantinople la nouvelle de la bataille perdue, et montrer à Sélim presque les seuls vaisseaux ottomans sauvés de la ruine commune. La consternation fut très grande parmi le peuple et dans le gouvernement barbare du sultan. Les arsenaux épuisés, le port vide de navires, l’entrée du détroit mal défendue par quelques énormes canons de fer, tout semblait favoriser l’audace des agresseurs.

Mais la saison avancée, les pertes des alliés dans le combat, et surtout la politique de Philippe II, docilement obéie du jeune vainqueur quand la vue de l’ennemi n’emportait plus son courage, furent autant de prétextes à l’inaction. Les chrétiens n’osèrent pas user de leur succès comme ils l’auraient dû, assaillir à coups pressés l’empire ottoman, et lui reprendre du moins sa récente conquête. Abrités dans la rade de Corfou, ils s’y partagèrent le butin de leur victoire, les galères ennemies, les pièces d’artillerie, les captifs, donnant à l’Espagne cinquante-huit galères turques, trente-neuf à Venise et dix-neuf au pape, mais rien de plus ne fut essayé contre le joug à demi brisé des barbares.

Aux efforts passionnés du pape, à ses ambassades pour presser la continuation de la guerre et pour étendre l’alliance, Philippe II répondit seulement par la promesse de laisser sa flotte hiverner près de l’Italie et en protéger les rivages ; il avouait d’ailleurs que pour son compte il redoutait moins aujourd’hui les Turcs que les chrétiens dissidens de la Belgique. Le faible empereur d’Allemagne, Maximilien, persistait dans sa neutralité, et, tout en témoignant une grande horreur du voisinage des Turcs, il alléguait la trêve qu’il avait faite pour quelques années avec le sultan.

Tel n’était pas sans doute l’esprit des peuples dans toute l’Europe chrétienne. Leur joie de la défaite des Turcs fut grande, surtout