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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/673

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nos ports ; ils venaient mouiller sur nos côtes, et s’y établissaient avec la plus incroyable confiance. Pendant ce temps, nos bâtimens restaient dans nos rades. Sans solde, sans vêtemens, humiliés de leur inertie, les équipages désertaient en masse. Ils allaient chercher à bord des corsaires un meilleur traitement et une vie d’aventures. La protection que le gouvernement accordait à ces arméniens irréguliers fut le coup de grâce de notre marine : elle remplit les pontons anglais de nos meilleurs matelots, car il n’y avait que les hommes d’élite qui fussent tentés d’aller s’exposer aux chances de ces croisières. En quelques jours, trois corsaires mouillés sur la rade du Port-Louis à côté de nous parvinrent à embaucher cinquante marins de la frégate la Volontaire et vingt-cinq de mes matelots. Ces hommes disparaissaient l’un après l’autre sans qu’il fût possible de retrouver leurs traces. Je fus obligé d’user de ruse pour les découvrir. Un quartier-maître, qui m’était fort dévoué fit agréer ses services par un des corsaires et éventa la mèche. Je traquai ainsi mes gabiers et ceux de la Volontaire jusque dans la cachette qu’on leur avait ménagée à fond de cale sous les pièces à eau. Le nombre des coupables était trop grand pour qu’on n’usât point envers eux d’indulgence. On se borna à les faire passer sur la frégate l’Insurgente, qui devait, au premier jour mettre sous voiles pour se rendre aux Antilles.

Ce service des convois qui m’était confié avait son importance, mais il n’était pas dans mes goûts. Les beaux combats dont les mers des Antilles et de l’Inde étaient de temps en temps le théâtre éveillaient mon émulation et venaient me rappeler qu’il y avait plus de gloire à acquérir dans ces croisières lointaines que sur nos côtes, où l’ennemi était toujours en force trop supérieure pour qu’on put avoir d’autre pensée que de l’éviter. Cette guerre défensive avait d’ailleurs ses dangers, tout aussi redoutables que ceux qu’on eût rencontrés dans des campagnes plus brillantes. Nous ne pouvions échapper aux croisières anglaises qu’en nous tenant constamment au milieu des roches, et en nous faisant un rempart de brisans que l’ennemi n’osât point franchir. Lorsqu’aucun convoi ne réclamait notre escorte, nous n’en devions pas moins rester à la mer, poursuivant les corsaires ennemis, qui, eux aussi, infestaient nos côtes, et nous ; retirant devant les frégates anglaises, qui souvent nous chassaient jusque sous le feu de nos batteries. Cette, navigation devenait chaque jour plus pénible et plus périlleuse. Nous étions en plein hiver, et l’on sait combien cette saison est rigoureuse sur les côtes de la Vendée et de la Bretagne.

Cependant les services que j’avais pu rendre dans le cours de cette année avaient été appréciés en haut lieu avec une rare bienveillance.