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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/679

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avait été de m’occuper de la réparation de mes avaries et de me disposer à reprendre la mer. En quelques jours, je fus prêt à mettre sous voiles. Les frégates la Séduisante et la Dédaigneuse, mouillées comme la Mignonne en rade de l’île d’Aix, venaient d’être placées sous les ordres d’un capitaine de vaisseau sorti de la marine du commerce. Cet officier se recommandait par une grande douceur de caractère et une extrême indulgence envers ses subordonnés, mais ses aptitudes ne l’appelaient en aucune façon à commander une division de bâtimens de guerre. On adjoignit la Mignonne aux deux frégates qui lui étaient déjà confiées. Notre mission était d’une haute importance et fort habilement conçue. Si elle eût été bien conduite, elle eût pu causer au commerce anglais un dommage incalculable. Nous devions explorer les côtes occidentales d’Afrique de l’embouchure du Sénégal jusqu’à l’équateur, et diriger sur la Guyane française ou sur les Antilles les négriers que nous aurions capturés. L’ennemi eût ainsi fait la traite pour notre compte et se fût chargé de rendre la vie à nos colonies. Arrivés à la hauteur de l’équateur, il nous était prescrit de traverser l’Océan et d’aller chercher à l’embouchure de la Plata les secours que les établissemens de Montevideo et de Buénos-Ayres ne pourraient se dispenser d’accorder à des bâtimens français. Une fois ravitaillés par les soins des Espagnols, nous devions opérer notre retour en France, en remontant les côtes du Brésil, traversant la mer des Antilles et visitant les côtes de Terre-Neuve. C’étaient là, sans contredit, des instructions dictées par un marin. Tout y était prévu ; le vent, dans la longue route que nous allions suivre, devait constamment nous favoriser. En nous portant brusquement d’une rive à l’autre de l’Atlantique, nous avions mille chances de déjouer les poursuites de l’ennemi. Les moyens d’exécution non plus ne nous manquaient pas : nos bâtimens emportaient six mois de vivres et quatre mois d’eau ; leurs équipages étaient au grand complet de guerre, et des compagnies franches composées, il est vrai, de déserteurs de tous les pays, Turcs, Grecs, Russes, Moldo-Valaques et autres, — bandits, si vous voulez, mais hommes décidés après tout, — étaient embarquées en supplément sur chaque frégate, afin que nous pussions tenter au besoin des coups de main à terre. La Séduisante, montée par le chef de l’expédition, la plus grande des trois frégates, la seule qui portât du calibre de 18, avait reçu deux cents de ces soldats. On n’en avait mis que cent sur la Dédaigneuse et sur la Mignonne en raison de la moindre capacité qu’offre une frégate de 12.

On me permettra de ne point m’étendre sur toutes les fautes qui furent commises dans le cours de cette campagne. Si je ne pus m’empêcher de gémir bien souvent de l’inertie et de l’inexpérience