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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/685

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recevais ainsi le vent du travers, et c’était la meilleure allure de la frégate. Bien que le vent fût encore faible et que les voiles retombassent souvent le long des mâts, nous n’en filions pas moins de six à sept nœuds. La nuit était d’une clarté désespérante. Le disque de la lune avait presque l’éclat du soleil dans nos climats brumeux. À deux heures du matin, le vaisseau se maintenait toujours à la même distance. Le vent fraîchissait. Cette circonstance pouvait être favorable à un bâtiment plus lourd que la frégate. Je réunis l’état-major sur le gaillard d’arrière, et je le prévins que, si le vaisseau ennemi parvenait à nous engager, mon intention était de l’enlever à l’abordage. Je fis prendre toutes les dispositions qui pouvaient assurer le succès de cette entreprise, et, brisé de fatigue, je m’assis sur le banc de quart. Involontairement mes yeux se fermèrent. Je ne dormis certainement pas dix minutes. En m’éveillant, je m’aperçus que la distance qui nous séparait de l’ennemi s’était sensiblement accrue. À quatre heures du matin, la brise soufflait franchement et sans intermittence. La supériorité de notre marche n’était plus douteuse. L’ennemi leva la chasse. À la manière dont il cargua ses basses voiles, je ne reconnus pas un bâtiment de guerre. Je restai cependant seul de mon opinion. Ce ne fut que plusieurs mois après notre retour en France que nous apprîmes que la Séduisante et la Dédaigneuse avaient été capturés par un vaisseau de soixante-quatre canons et sept vaisseaux de la compagnie des Indes.

La prise de mes deux conserves me laissait sans instructions. Le commandant de la Séduisante n’avait pas jugé à propos de nous faire connaître celles qu’il avait reçues. Il ne nous avait pas même indiqué de points de rendez-vous en cas de séparation. Cependant j’avais à bord près de six mois de vivres, la frégate était dans un état parfait. Je pensai qu’en continuant à croiser sur les côtes du Brésil, il ne me serait pas impossible de faire quelques captures. J’aurais ainsi le moyen d’échanger quelques-uns de nos camarades que je présumais avoir été déposés à Rio-Janeiro. La chance ne me fut pas favorable. Pendant les vingt jours que j’employai à parcourir la distance qui sépare la baie de Tous-les-Saints, de Fernambouc, je ne vis pas une seule voile. Je dus renoncer à l’espoir de réaliser mes projets, et je pris la résolution de rentrer en France. Notre navigation fut sans incidens jusqu’à la hauteur des Açores. Nous venions de traverser cet archipel, lorsqu’un grand trois-mâts se détourna de sa route et se dirigea sur nous. Je fis mettre en panne pour l’attendre. Ce bâtiment portait le pavillon anglais et nous prenait sans doute pour une frégate anglaise. Lorsqu’il fut à portée de voix, je fis hisser nos couleurs et lui ordonnai de mettre en panne.