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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/688

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que l’imagination populaire se plaisait à exagérer avaient en réalité bien peu de valeur. Nos hommes avaient d’ailleurs, avant de pouvoir en jouir, à les disputer à la vigilance de la douane. Il est vrai que les marins de la Mignonne auraient bravé tous les agens du fisc plutôt que de se laisser frustrer du fruit de leur croisière. Du reste, je l’avoue, ils avaient en moi un complice. Chaque jour j’accordais à la moitié de l’équipage la permission de descendre à terre. Nos marins débarquaient sur la rive de la Charente dans un état d’obésité qui faisait honneur au commis aux vivres de la Mignonne ; ils revenaient à bord minces et fluets. Jusque-là tout s’était passé sans scandale ; mais pendant que j’étais tranquillement à Rochefort au sein de ma famille, on reçut à bord de la Mignonne l’ordre de débarquer à la hauteur de Martrou les soldats de notre compagnie franche. Cette troupe se mit en marche sur deux files, escortant les charrettes qui portaient les bagages. Arrivée aux portes de la ville, elle prétendit que des soldats ne pouvaient, sans se déshonorer, laisser visiter leurs fourgons. Les douaniers protestèrent, et appelèrent la garde à leur aide ; mais la garde prit parti pour l’uniforme. Plainte fut nécessairement portée au commandant de la marine. Je fus chargé de faire une enquête. Je la fis, et ne trouvai point de coupables. Pourrait-on, sans se sentir ému, comparer le sort de nos matelots pendant cette guerre à celui des marins anglais ? Tout contribuait à garantir aux uns le prix d’un facile labeur ; tout tendait à maintenir les autres, après des fatigues et des risques inouis, dans une condition misérable. Le matelot anglais savait que son pavillon couvrait les mers. Il était presque toujours certain d’avoir un ami à portée, quand il ne commençait pas le combat avec deux navires contre un. Ses prises trouvaient un passage facile jusqu’en Angleterre ; le produit lui en était scrupuleusement payé. Le matelot français, quand il avait pu échapper à la mort et aux pontons, quand il avait bravement livré aux flammes des trésors qui l’auraient fait opulent pour le reste de ses jours, se voyait envier à son retour, par des lois inhumaines, quelques futilités qui n’avaient d’autre prix que celui qu’il y attachait lui-même. Et c’est ainsi qu’on se flattait d’avoir une marine !

Ma part n’était pas considérable dans ce butin, qu’eût voulu nous ravir la douane ; mais j’avais rapporté de ma longue campagne d’exploration, sous les ordres de M. de Brétigny, le goût des collections. J’avais donc recueilli pendant notre séjour sur la côte d’Afrique des coquilles fort curieuses, des oiseaux écorchés et des oiseaux vivans. De ces derniers il ne m’en restait plus qu’un seul, qui m’avait été donné à Acra : c’était un oiseau fort curieux et fort rare, surtout en France, où tout ce qui venait d’outre-mer était devenu