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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/712

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sans proférer un mot. Le lendemain de cette nuit, que je ne puis oublier, je partis pour Cologne.

Après avoir visité la cathédrale, qui ne sera peut-être jamais terminée, je fus assez heureux pour rencontrer dans cette ville, aux rues sales et nauséabondes, M. Ferdinand Hiller, compositeur d’un mérite élevé, qui jouit dans toute l’Allemagne d’une réputation considérable et légitime. Il me dit : « Le moment est mal choisi pour entendre de la bonne musique à Cologne. Le théâtre est fermé, et tout le monde est à la campagne ou aux eaux ; mais si vous voulez me consacrer la journée de demain, — c’était un dimanche, — je vous conduirai dans une ville voisine où doit avoir lieu une fête musicale, Musik-Fest, qui vous intéressera. » J’acquiesçai avec joie à sa proposition, et je partis le lendemain pour Crefeld.

J’eus beaucoup de peine à trouver l’embarcadère du chemin de fer qui conduit à Crefeld : j’avais oublié le nom de la ville où je devais me rendre, et mon guide de son côté avait laissé passer l’heure du rendez-vous. Parvenu, non sans obstacles, devant le bureau, je demandai un billet de première classe, ce qui parut étonner l’employé à qui je m’adressai, ainsi qu’un ecclésiastique qui se trouvait là présent. — Prenez, monsieur, un billet de troisième classe, me dit l’ecclésiastique en bon français et presque sans accent, on y est bien, et personne dans ce pays-ci n’use de la permission d’aller s’ennuyer tout seul dans les beaux wagons bien rembourrés où l’on ne peut pas fumer. — Je suivis son conseil, et j’eus le plaisir de me trouver dans un wagon en bois à côté de lui. Après quelques minutes de silence, il s’engagea entre l’ecclésiastique et moi un dialogue dont je veux rapporter quelques traits.

— Vous venez sans doute de Paris, monsieur ? me dit l’abbé en se rapprochant de moi avec bonhomie.

— Oui, monsieur l’abbé, lui répondis-je, et j’y retourne.

— Eh bien ! que dit-on dans cette grande, belle et folle cité ? Se croit-elle toujours la capitale de la civilisation et le centre du monde, comme les Grecs le pensaient d’Athènes ?

— On dit à Paris beaucoup de choses, cela dépend du point de vue où l’on se place pour observer, et il y a encore à Paris des gens assez naïfs pour croire que les opinions qui se forgent dans la capitale de la France ne sont pas indifférentes à l’Europe, ni au reste du monde civilisé.

— Mais enfin que veut Paris et que veut la France, maintenant qu’elle a le repos ?

— Toujours la même chose, et depuis trente ans que je l’habite, elle n’a pas changé d’avis : elle veut la liberté.

— Belle chimère qu’elle poursuit là ! Il n’y pas de liberté possible pour un peuple hors du christianisme et de l’église, qui le représente.

— Hors du christianisme, c’est possible ; mais vous me permettrez de douter que l’église, c’est-à-dire le catholicisme, soit un protecteur bien zélé de la liberté. Il la réclame pour lui quand le pouvoir séculier la lui conteste ; mais il se hâte de la mettre sous le boisseau dès qu’il se croit le plus fort. Voyez ce que le catholicisme fait à Rome, à Naples, en Espagne, en Autriche, et ce qu’il essaie vainement de faire en France !