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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/729

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suscité des querelles célèbres. C’est d’abord chez les jurisconsultes qu’on vit éclater cette controverse entre la philosophie et l’histoire. Le monde savant n’a pas oublié la lutte de M. de Savigny et de M. Thibaut, le premier soutenant que l’histoire du droit en contient toute la philosophie, que la tradition est un système naturel, une doctrine vivante, dont le législateur ne peut s’écarter sans péril, le second réclamant pour la raison le privilège de dicter des lois à l’homme, d’approprier les institutions aux besoins des peuples et de régler le présent sans se soucier du passé. Cette lutte, qui a duré plus de trente ans, remonte à 1814 ; à partir de cette date, et à des intervalles plus ou moins rapprochés, le même antagonisme s’est produit dans le domaine de la théologie, de la critique littéraire, de la philologie, et l’on sait qu’à partir de 1840 un recueil célèbre, les Annales de Halle, résumant toutes ces discussions particulières, fit entendre jusqu’en 1848 des protestations véhémentes contre l’école historique. Malgré les manifestes de M. Thibaut et les clameurs des Annales de Halle, le mouvement historique suivit son cours. Les événemens de 1848 ayant interrompu la controverse, on vit peu à peu se rapprocher des esprits qui semblaient voués à une hostilité irréconciliable. Les soldats du camp philosophique étaient traités jadis d’esprits révolutionnaires, et les violences des Annales de Halle avaient justifié trop souvent ces accusations passionnées ; en revanche, les représentans de l’école historique étaient confondus par leurs adversaires avec les partisans du moyen âge. Toutes ces colères ont disparu ; aujourd’hui, à proprement parler, il n’y a plus ni école historique ni école philosophique ; il y a des esprits qui, obéissant à l’inspiration générale de notre époque, poursuivent les progrès de la science sous la forme de l’histoire, sans dédaigner, à Dieu ne plaise ! les secours de la philosophie pure. La conciliation s’est accomplie naturellement. Un traité tacite a désarmé les parties belligérantes. La philosophie et l’histoire ne se regardent plus comme des ennemies ; elles savent qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Le mouvement historique de nos jours est le produit d’un spiritualisme généreux et précis, d’une confiance élevée dans la Providence et dans les destinées du monde ; en d’autres termes, l’histoire telle que l’a comprise notre siècle renferme une philosophie cachée, et le jour où cette philosophie disparaîtrait, l’histoire serait aussitôt frappée de mort ; on n’y trouverait plus qu’une érudition pédantesque ou une rhétorique insipide. Laissons donc l’esprit du XIXe siècle continuer son œuvre, et puisque l’intelligence publique a plus besoin de démonstrations concrètes que de formules théoriques, laissons-le travailler à cette psychologie en action, à cette logique vivante, qui, suivant l’homme dans tous ses domaines, nous donne à la fois le tableau et la philosophie de l’esprit humain.