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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/746

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Les historiens devenus populaires dans ces dernières années sont ceux qui ont le mieux répondu à ce besoin des intelligences. Parmi ceux-là, au premier rang, il faut placer un homme du plus rare mérite, esprit hardi, original, à la fois savant et artiste, qu’on eût remarqué certainement à toute époque, mais qui exprime surtout, et avec un singulier bonheur, la pensée et les aspirations de son temps. Je parle de M. Théodore Mommsen, l’auteur de cette Histoire romaine dont l’apparition a été un événement pour l’Allemagne. Voilà un sujet bien connu assurément : l’érudition peut y faire encore des découvertes, éclairer des points de détail, trouver matière à des thèses, à des monographies, qui intéresseront les gens du métier ; mais comment être dramatique et neuf après Polybe et Tite-Live, après Machiavel et Montesquieu ? Avec un sujet tant de fois traité, M. Mommsen a passionné son pays. Depuis longtemps, une œuvre d’imagination, roman ou drame, n’avait été lue avec une curiosité aussi ardente[1].

Quel est donc le procédé de M. Théodore Mommsen ? On peut le définir en deux mots : à la science la plus précise il joint la plus complète liberté d’appréciation. M. Mommsen s’est patiemment préparé à son œuvre ; il ne connaît pas seulement tous les écrits de l’antiquité : il a interrogé aussi les monumens, les inscriptions, les médailles, tous les témoignages. L’Italie a été son pays d’adoption pendant bien des années, et l’histoire de Rome était sa préoccupation de toutes les heures. Quand il enrichissait la science épigraphique de découvertes si précieuses, ce n’était pas la renommée de l’érudit qui le tentait ; il ne songeait qu’à pénétrer plus avant dans le sein de la société romaine. À force de sagacité, il est devenu en effet le compagnon des hommes qu’il voulait peindre ; il a vécu avec eux, il a partagé leurs périls, épousé leurs passions, et les alternatives des événemens lui arrachent des cris de joie ou de colère. Mieux que le savant Drumann, qui a écrit l’histoire de chacune des grandes familles de Rome, il sait la biographie particulière de tous les personnages de son drame. Drumann est savant et ennuyeux ; Mommsen possède les renseignemens exacts et passionnés d’un contemporain. Grands seigneurs, démocrates, banquiers, aristocratie du commerce, brillans généraux de cavalerie, toutes les classes de

  1. L’ouvrage a déjà trois volumes et va jusqu’à l’établissement de la monarchie de César ; trois autres volumes seront consacrés à l’empire. La première édition avait paru de 1854 à 1856 ; la deuxième est de l’an dernier. Cette seconde édition est bien supérieure à la première. Il y a des parties entièrement neuves, les unes dues à de nouvelles recherches de l’auteur sur l’organisation intérieure de la cité romaine, les autres empruntées à ces fragmens de l’annaliste Licinianus récemment découverts et publiés par M. Charles Pertz, Gai Grani Liciniani annalium quæ supersunt ex codice ter scripto Musœi britannici Londinensis, nunc primum edidit Carolus Aug. Frid. Pertz. Berolini 1857, gr. in-4o.