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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/749

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politique, comme l’appelle M. Mommsen, ce personnage au tempérament sanguin, avec ses yeux bleus, ses cheveux blonds, son visage blanc qui rougissait à la moindre émotion, ce gentilhomme aussi brillant dans les salons de l’aristocratie que bon camarade sous la tente, ce voluptueux que la fatigue et le péril n’effrayaient pas, ce dictateur entouré de comédiens et de comédiennes, cet homme qui épuisait gaiement toutes les jouissances de la vie, et dont les vengeances furent si froidement atroces, ce corps d’acier, cette âme blasée, ce n’est pas là un héros qui devait plaire, à l’ennemi déclaré de l’oligarchie romaine. Qu’est-ce donc qui a séduit ici l’historien ? L’intelligence et le génie politique. Au milieu de cette aristocratie dégénérée, voilà du moins un homme. Il a essayé de restaurer la société romaine, et il a dédaigné l’empire. M. Mommsen va jusqu’à le rapprocher de Washington. C’est pousser à l’excès l’impartialité du juge ; on voit que l’auteur veut se donner ainsi toute liberté pour l’admiration et l’enthousiasme quand son héros paraîtra sur la scène.

Ce héros, il faut bien le dire, c’est César. Ce qu’avaient fait les rois pour la Rome primitive, ce qu’ont voulu pour la Rome maîtresse de l’Italie et du monde de hardis hommes d’état apparus de loin en loin pendant le long régime aristocratique, — Appius Claudius l’aïeul du décemvir, Caïus Gracchus, Sertorius, — ce qu’ils ont voulu et ce qu’ils n’ont pu faire, César l’accomplit enfin. Voici la monarchie libérale, inconnue jusque-là dans le monde. M. Mommsen signale un fait peu remarqué dans la carrière de César : il détestait, nous dit-il, la monarchie militaire, celle dont Marius et Cinna donnèrent l’exemple, celle qu’ambitionnait Pompée. C’était par la politique, non par la force des armes, qu’il voulait fonder la nouvelle constitution romaine. Pendant dix-huit ans, tour à tour démagogue, conspirateur, chef de parti, il fut mêlé à toutes les intrigues sans avoir eu de relations avec l’armée, et c’est seulement après avoir vu l’inutilité de ses efforts qu’il recourut enfin au prestige de la gloire. La gloire militaire ne fut donc qu’un moyen pour César. Le vainqueur des Gaules n’est pas un général victorieux devenu empereur, c’est un homme d’état devenu homme de guerre par nécessité. Il avait déjà quarante ans quand il se fit soldat. « Cela seul, dit M. Mommsen, indique toute la distance qu’il y a entre César et Napoléon. » Aussi, quand il fut le maître du monde, on ne le vit pas s’appuyer sur l’armée, encourager la vanité militaire, créer des commandemens, instituer des maréchaux ; jamais non plus il ne dénoua par l’épée les affaires de l’état. Des violences comme le 18 brumaire sont ce qu’il y a de plus opposé, si l’on en croit M. Mommsen, au génie de César. Il faut lire, dans le chapitre intitulé République et Monarchie, cette singulière apologie de César ; il faut voir le détail de son administration, le plan de son gouvernement, l’idéal du monde nouveau