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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/771

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père en fils ils avaient représenté au parlement depuis des siècles l’intérêt tory. Ils avaient dans le sang toutes les bonnes et excellentes qualités qui ont distingué de tout temps les gentilshommes campagnards anglais, surtout lorsqu’ils étaient de race tory : la fidélité du cœur, la cordialité des manières, la familiarité populaire, l’entêtement des opinions. De bonnes gens, ces squires tories, plaisantant fort peu sur leur noblesse, mais sans fierté avec les petits ; des gens faits pour s’entendre avec les curés anglicans et le simple peuple des campagnes, comme les orgueilleux oligarques whigs avec les intraitables dissidens et les violens yeomen du Yorkshire et du Lancashire ! Le présent seigneur de Greshambury avait en lui toutes les bonnes qualités de sa race ; mais la fatalité avait voulu que la fortune qui protégeait sa famille suspendît un instant ses faveurs. Les Gresham étaient menacés d’une ruine presque complète. M. Gresham avait fait cependant un brillant mariage, car il avait épousé lady Arabella, sœur du puissant comte de Courcy ; mais cette alliance lui avait été plus nuisible qu’utile. Les de Courcy étaient whigs, et de temps immémorial les Gresham avaient représenté au parlement le parti tory. Les commettans de M. Gresham furent donc scandalisés lorsqu’ils le virent, tiède pour la vieille cause, pactiser avec les whigs, et continuer dans la vie politique son alliance matrimoniale. Ce fut en vain qu’il lutta aux élections de 1833 et de 1834 ; il perdit à cette lutte son temps, sa peine, et, ce qui était plus précieux, son argent. Ces insuccès politiques n’étaient pas précisément compensés par le bonheur domestique, car ils avaient irrité profondément l’orgueilleuse lady Arabella et renversé tous ses plans de vie élégante. Lui faudrait-il donc, au lieu de briller à la cour et dans les grands salons de Londres, partager la vie monotone d’un squire campagnard ? Les goûts et les dépenses des Gresham avaient été jusqu’alors les goûts et les dépenses des gentilshommes campagnards, les chevaux et les chiens. Lady Arabella introduisit dans le budget du squire un nouveau chapitre de dépense : un séjour chaque saison à Londres et le rajeunissement de l’antique mobilier. Enfin, dernière infortune, le ciel étendit sa bénédiction sur ce noble ménage et le rendit fécond, sans doute parce que les races nobles, étant comparables aux terres précieuses, doivent porter les plus riches moissons. Les enfans se succédèrent : plusieurs moururent il est vrai ; toutefois, à l’époque où Frank Gresham atteignit sa majorité, la postérité du squire était encore fort respectable. Toutes ces circonstances avaient singulièrement entamé la fortune des Gresham, si bien que, le jour où Greshambury célébrait la vingt et unième année du jeune héritier, la propriété du manoir était hypothéquée pour une somme de cent mille livres sterling.