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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/788

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en ameublemens. Un petit détail suffira pour faire comprendre la nature de ce dandysme ecclésiastique : pour rien au monde, il n’eût dîné sur une table ronde, meuble qui, selon ce gentilhomme clérical, ne pouvait convenir qu’à un cockney enrichi ou à un dissident. Un autre de ses principes était qu’on devait haïr ses ennemis de toute son âme, ne jamais leur faire quartier, même quand ils demandaient merci, et n’abandonner la partie que lorsqu’ils étaient exterminés. Cependant le docteur Grantly était, malgré ses vices mondains et peut-être à cause de ces vices, exempt du vice clérical par excellence, la tartuferie ; c’était un mondain, ce n’était pas un cuistre ; c’était un pharisien peut-être, ce n’était pourtant pas un hypocrite.

L’antagoniste apparent de l’archidiacre était ce docteur Proudie, qui lui avait soufflé le patrimoine épiscopal ; mais son ennemi véritable était M. Slope, le chapelain de l’évêché. Du docteur Proudie il n’y a rien à dire, sinon qu’il était de la dernière insignifiance. Il n’était évêque que de nom ; l’évêque véritable était sa femme, mistress Proudie : c’était elle qui distribuait les bénéfices, nommait aux emplois vacans. Lorsqu’il voulait disposer de la moindre charge dans son diocèse, il le faisait subrepticement, en cachette, comme un délinquant honteux ou un esclave qui profite de l’absence de son maître. Un geste de colère de mistress Proudie le faisait rentrer sous terre ; un mot de tendresse lui arrachait toutes les concessions qu’elle désirait. Plusieurs fois M. Proudie avait essayé de secouer ce joug féminin, et il avait même formé à cet effet une ligue avec son chapelain ; mais hélas ! le chapelain ne passait pas la nuit dans la chambre de l’évêque, et il avait la douleur de voir rompre tous les matins les filets qu’il avait tendus la veille. Ce chapelain était, après mistress Proudie, le personnage important de l’évêché. M. Slope formait avec le docteur Grantly le contraste le plus complet. M. Slope n’était pas un gentleman, mais un croquant de la pire espèce. L’hypocrisie avait pénétré toutes les parties de son âme et de son corps ; il était comme saturé de cafardise. Son regard était hypocrite, sa démarche était hypocrite, ses paroles n’exprimaient qu’assurances hypocrites. Ses mœurs étaient pures et cependant comme infectées de vice ; il ne mentait pas, et cependant son langage n’était jamais sincère. Il appartenait au parti de la basse église, et il connaissait à fond tous les manèges et tous les stratagèmes des intrigans de ce parti. Il savait que la puissance véritable du prêtre n’est pas dans l’église, mais au foyer domestique, qu’elle n’est pas dans la pompe extérieure, mais dans la direction des cœurs. Il tonnait contre les idolâtries introduites dans le culte par les highchurchmen, contre la musique religieuse, contre les autels