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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/816

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fraternité des arts est celle qui lie le plus soudainement et le mieux : c’est la franc-maçonnerie de l’âme. On se sépara comme de vieux amis, en se disant : A bientôt !

Le lendemain matin, Marcel, ivre de bonheur et d’espoir, caressait des rêves d’avenir et d’amour sous un doux soleil, par une de ces matinées radieuses qui semblent inspirer la joie, et où l’âme ne se repose que sur des idées riantes. Un messager en sabots vint en courant le prier de se rendre le plus vite possible au château, pour voir Mme de Presle, qui s’était réveillée malade. Le jeune homme fit donc ses premières armes et opéra sa première cure sur la châtelaine de Saint-Loup, dont il calma instantanément le douloureux accès névralgique ; aussi fut-il proclamé dans Fabriac le plus savant de tous les médecins passés, présens et futurs, y compris même le vieux M. Biret.

À partir de ce moment, Mme de Presle ne put se passer de son cher docteur. Le père Lavène, fort absorbé dans ses vendanges, trouva tout naturel du reste que son fils se dévouât à ses nobles clientes. — C’est son métier, — disait-il, et il consentit même à perdre une demi-journée pour montrer et expliquer aux châtelaines les différentes opérations de la fabrication du vin. Ce fut un jour de fête que celui où il convia Mme de Presle et sa fille à ce spectacle inconnu pour elles. Mos de Lavène avait préparé une brillante collation, et Rose, qui était la meneuse de la bande des vendangeurs de son oncle, offrit à Mme de Presle un petit panier des meilleurs raisins, choisis grappe à grappe dans tout le domaine. Les châtelaines, qui ne connaissaient guère, en fait de vignobles, que les maigres échalas d’Argenteuil, ne se lassaient pas d’admirer les belles vignes si touffues et si vertes étalées à leurs pieds. Le doux prestige qui enveloppe la nature du midi à cette époque de l’année charmait les deux Parisiennes. La richesse, l’abondance et la joie du Bas-Languedoc semblent se concentrer dans le mois des vendanges. Un air d’allégresse et de fête est répandu sur ces belles plaines, d’ordinaire si monotones sous leur éclatant soleil. Des nuées de jeunes filles et de jeunes garçons s’abattent en chantant dans ces vignes luxuriantes, dont les pampres entrelacés rampent sur la terre et la couvrent d’un admirable tapis.

Ce qui excita le plus la curiosité et l’intérêt, mêlé de compassion, des dames de Presle fut ; la manière de manœuvrer les pressoirs à vin. Qu’on se figure deux vis en bois que trois ou quatre hommes font tourner alternativement en se précipitant à la fois, frappant de leurs cuisses et en mesure les grosses barres qui y sont adaptées. Afin de mettre plus d’ensemble dans le choc, ils accompagnent leur élan furieux d’un cri sauvage auquel vient se mêler le craquement de la machine. Ce spectacle a quelque chose d’étrange