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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/822

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IV

L’hiver allait cependant séparer les deux jeunes gens, et sur la prière de Marcel, Mme de Presle consentit à ce qu’une correspondance régulière vînt adoucir les tristesses de l’absence. La famille de Presle était partie pour Nice, et Marcel s’apprêtait à quitter Fabriac. Maître Lavène seul ne partageait pas son bonheur. La crainte d’un échec de son fils le désespérait ; il avait arrangé pour Marcel et pour lui un avenir paisible, et ce n’était pas sans regret qu’il y renonçait. Il pensait d’ailleurs qu’il avait fait assez de sacrifices pour le jeune docteur, et, comme l’intérêt tenait chez lui une grande place, il se dit que c’était à la riche Parisienne de subvenir aux frais du concours. La délicatesse du jeune homme se révolta à cette idée ; le paysan répondit que sa position ne lui permettait pas cette dépense, et Marcel partit un matin pour Montpellier avec un mince bagage, mais le cœur riche d’espoir. Arrivé à l’angle du petit chemin, le jeune homme voulut dire adieu au doux vallon où était né son amour. Il monta donc sur une guarigue élevée dont l’agreste plateau domine le pays. Au loin se dessinaient en points nuancés le mont gigantesque et le château de Saint-Loup, lieux chéris où s’étaient écoulées son enfance et les premières heures de sa tendre passion. La cloche du village sonnait lentement une heure matinale que le coq traduisait en accens criards dans toute la contrée. Une pluie de sarmens coupés par les ciseaux sonores des tailleurs tombait déjà sur le sol, et les lieuses se répandaient dans les vignes en blancs troupeaux[1]. Les feuilles, qui s’agitaient naguère si vertes et si fraîches au sommet des arbres, sèches et grises maintenant, tourbillonnaient tristement avec les broussailles des haies ; l’épiderme léger qui avait enveloppé le corps d’émeraude du lézard d’un réseau d’argent gisait suspendu au squelette d’un chardon, comme un débris de filigrane ; quelques nids à moitié déchirés se balançaient en haut des amandiers. Les enfans s’amusaient, avec de longues pailles, à faire sortir de leur retraite souterraine les insectes engourdis, ou cherchaient sur l’herbe raidie par la gelée les dépouilles étincelantes des scarabées et des cigales. Quelques vieilles femmes glanaient dans la campagne du menu bois et de rares limaçons. La coquillade (allouette huppée), attirée sur la grand’route par certaine pitance, y sautillait auprès des chevaux, et ses plumes, hérissées par le vent, formaient une volumineuse crête sur son corps

  1. En toute saison, les paysannes du midi ne travaillent à la terre que vêtues de blanc.