Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/825

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son poids, comprime fortement la masse et se relève après avoir fait écouler par sa pression le liquide contenu dans les paillassons. Ce liquide jaillit tout autour de la colonne de cabas, ruisselle en cascades rougeâtres et retombe dans des bassins de pierre. L’huile, plus légère que l’eau, monte peu à peu à la surface de ces réservoirs, où on la recueille avec une feuille de cuivre mince et faiblement creusée. Il faut avoir une main très légère pour retirer ainsi l’huile sans y mélanger une goutte d’eau, et une grande habileté pour ne laisser dans la cuve aucune portion du précieux liquide. Les cliens surveillent minutieusement cette dernière opération si délicate, et les plus riches propriétaires ne dédaignent pas d’aller eux-mêmes voir extraire leur huile, ce qui, pour le dire en passant, met le meunier dans la nécessité de tenir table ouverte en vue de sa haute clientèle. On repasse à la presse hydraulique le marc d’olives qui est resté dans les cabas ; mais l’huile provenant de ces résidus ne peut guère servir qu’à l’éclairage. Les usines modernes ont remplacé la grosse poutre par une presse à vis de fer perfectionnée et plus puissante. La routine du paysan est telle néanmoins qu’il se méfie d’un mécanisme qu’il ne comprend pas ; il préfère son arbre et sa poutre antique, dont il aime à suivre les évolutions traditionnelles.

Les eaux rougeâtres des bassins s’écoulent aux enfers. On appelle ainsi un souterrain où d’immenses cuves reçoivent les liquides de chaque pressée. C’est un antre mystérieux, qui offre au propriétaire du moulin le précieux butin d’une dîme secrète prélevée sur la récolte du client, car ces eaux rougeâtres tiennent encore en suspension une certaine quantité d’huile, qui se sépare lentement du liquide aqueux, et finit par arriver à fleur d’eau au moyen d’une chaleur excessive qu’on entretient autour des cuves. Il se forme quelquefois près de dix centimètres d’huile à la surface des réservoirs, et l’on conçoit le mystère dont le meunier entoure cette opération. Chaque semaine, vers minuit, le meunier passe une ronde, sa lanterne à la main ; il tâche, sous différens prétextes, d’éloigner les importuns, et, suivi de son leveur d’huile, être graisseux, cagneux d’ordinaire, à moitié vêtu de cuir, ce qui lui donne l’air d’une outre vivante, il se dirige à pas de loup vers son enfer ténébreux. La vapeur condensée contre les parois de cet antre horrible retombe en gouttelettes sur le sol ; une odeur acre et nauséabonde se dégage de ces cuves, sur lesquelles surnage une huile épaisse et infecte. L’obscurité de ces lieux, le costume étrange du leveur d’huile, sa figure patibulaire se reflétant dans le vert miroir des bassins, la lueur vacillante de la lampe accrochée à la voûte, les immenses chaudrons remplis de liquide de toute couleur, l’air soucieux