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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/841

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lequel j’ai vécu, et pour lequel je meurs… Je vous le donne à vous qu’il aime…

La pauvre mos ne put dire que ces mots ; sa voix expira ; elle enveloppa Marcel de son dernier regard, joignit les mains et mourut.

Quelques instans après, un bruit sourd retentit à la porte d’entrée. On aurait dit que le marteau avait aussi revêtu le deuil de cette triste maison, et qu’on frappait ainsi pour ne point troubler la famille affligée. Maître Lavène descendit et trouva dans la rue le pauvre Gris, qui faisait de vains efforts pour ouvrir avec sa tête. La bonne bête avait-elle eu l’intuition de la mort de sa maîtresse, et venait-elle aussi lui dire son dernier adieu ? Toujours est-il qu’une femme en courroux et le bâton à la main ne tarda pas à rejoindre l’âne.

— Ah ! dit-elle à Lavène, quelle mauvaise idée j’ai eu d’acheter cet âne ! Toutes les fois que je passe dans cette rue, il s’arrête ici, et je ne puis l’en arracher. Tout à l’heure il a jeté sa charge par terre et s’est sauvé. Je suis tout essoufflée pour avoir couru après lui ; mais je savais bien où le retrouver. Ah ! si je pouvais le revendre ce qu’il m’a coûté ! J’étais bien plus tranquille lorsque je portais mon linge moi-même, bien plus heureuse !

Lavène, fort surpris, car il se croyait toujours le possesseur du brave animal, demanda l’explication de cette énigme. La blanchisseuse lui raconta le marché fait avec Madeleine, et fut ravie lorsque le père de Marcel lui demanda de le résilier. Pendant qu’elle s’éloignait en s’étonnant de l’aventure, maître Lavène caressait le Gris, et laissant tomber une larme sur sa rude crinière : — Ma pauvre Madeleine, dit-il, aura un enterrement bien modeste ; elle aura du moins pour la mener à la tombe tout ce qu’elle a le plus aimé sur la terre ! Avec le prix de notre Gris, j’aurais pu lui faire un beau convoi, mais je suis sûr qu’elle aimera mieux être conduite par sa bonne monture que par des pénitens bleus ou blancs.

Vers le soir, une petite charrette tendue de noir et traînée par le Gris prenait le chemin de Fabriac. Une jeune femme assise sur le chariot lugubre pleurait près de la bière, et trois hommes silencieux suivaient le cercueil dans un morne désespoir. C’était le corps de Madeleine qui s’acheminait vers sa dernière demeure. Quand on arriva au pied du mont Saint-Loup, il fallut porter Marcel à moitié évanoui sur le char mortuaire, et le fils qu’avait tant aimé Madeleine sembla recueillir sur sa dépouille mortelle les accens de la tendresse que les tristes échos de la mort apportaient à son cœur déchiré.