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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/873

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de 20 millions de livres tournois en marchandises : la balance s’établissait, il est vrai, au moyen des esclaves que cette possession livrait aux colonies de l’Amérique pour le compte des négocians français. À cet avantage, la situation actuelle peut opposer, on l’a vu, d’abondantes compensations : la production intérieure est en outre puissamment aidée par l’introduction d’une banque de prêt et d’escompte qui facilite les opérations du commerce local. L’on peut dès aujourd’hui demander des retours à la production du pays, comme jadis à la traite des esclaves : c’est le problème même que se posa le gouvernement de la restauration.

Ce problème, doit-on aujourd’hui le résoudre, comme ce gouvernement tenta de le faire, au moyen d’établissemens que fonderaient les habitans de Saint-Louis dans le Oualo ou le Fouta ? Doit-on au contraire s’adresser principalement aux indigènes ? Quelques voix rares et isolées conseillent au gouvernement la première méthode de colonisation, qui est, nous devons le reconnaître, dans les goûts et les habitudes de l’administration française ; mais on ne peut partager ce sentiment, si l’on demande à l’expérience d’une autre époque toutes les leçons qu’elle contient. Les entreprises agricoles tentées sous la restauration étaient une colonisation tout artificielle dont l’insuccès ne doit s’expliquer ni par l’insalubrité du climat, ni par la stérilité générale du sol, ni par la sécheresse de l’air, prétextes imaginés alors pour couvrir d’importunes défaites, et dont le peu de valeur éclate dans la présence même de plusieurs millions d’hommes qui vivent et se nourrissent depuis des siècles sous le climat et sur le sol de la Sénégambie. La persévérance ne fit pas défaut non plus, puisque les encouragemens officiels persistèrent près de dix ans, sans résultat sérieux. L’entreprise échoua, parce que l’idée elle-même était fausse comme conception plus encore que vicieuse comme exécution. La prétention officielle était d’installer, par le concours de la population commerciale de Saint-Louis, à trente ou quarante lieues de cette ville, de grandes cultures industrielles : programme irréfléchi que les habitans de Saint-Louis ne pouvaient de bonne foi accepter et réaliser. Ce n’est pas, comme on l’a dit, que les populations commerçantes aient une répugnance naturelle pour l’agriculture ; elles s’y plaisent au contraire, et par leur goût pour toute spéculation, et par l’amour du sol inné dans l’homme ; mais elles n’entendent pas abandonner leur négoce pour leurs affaires agricoles. Elles veulent les combiner, les mener de front, répugnant avec raison à sacrifier le commerce, qu’elles entendent et qui les enrichit, à la culture, qu’elles ignorent et qui les gêne en immobilisant leurs capitaux. Alors que le théâtre de la colonisation était placé à plusieurs journées de Saint-Louis,