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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/94

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démie française. Cependant Brizeux continuait ses études de penseur et d’artiste, tantôt retouchant ses œuvres déjà publiées, changeant un mot, ajoutant un vers, tourmenté des plus délicats scrupules de l’artiste, tantôt méditant sur toutes choses avec une extrême sensibilité d’intelligence et faisant pour l’avenir maintes provisions de poésie. Il aimait avec passion ce souffle littéraire qu’on respire à Paris, les visites aux musées, les théories à outrance sur la philosophie et l’art, théories parfois subtiles, téméraires, qui eussent ébouriffé les sots, charmantes et salutaires entre gens qui se comprennent, et pourtant au bout de quelques mois il avait toujours besoin de se retremper dans une autre atmosphère. Il partait alors pour le midi de la France, et de là pour l’Italie. Il y passa l’hiver de 1847 ; c’était, je crois, le cinquième séjour qu’il y faisait, ce fut aussi le dernier. La révolution de 1848 le surprit à Rome. Âme généreuse, il avait noblement chanté après 1830 la liberté idéale, la belle déesse athénienne qui conduit le cortège des arts et sanctifie le travail; les désordres de 1848 le remplirent de tristesse. Très lié avec un homme d’élite qui joua un noble rôle dans les premiers temps de la révolution italienne, il ne se fit pas longtemps illusion sur les espérances de son ami : dans toutes les villes, Venise seule exceptée, le mouvement d’une régénération nationale était arrêté par les violences démagogiques. Ce spectacle, nous le voyons par ses lettres, l’affligea profondément. Il resta pourtant en Italie pendant toute l’année 1848, habitant tour à tour Rome, Naples, Florence, cherchant partout le pays de la fleur d’or et ne le trouvant plus. Ce dernier voyage avait duré plus de deux ans ; il revint en France au mois d’avril 1849, passa quelque temps à Paris, donna une seconde édition des Bretons, et repartit pour la Cornouaille. Il avait besoin de calme, il voulait revoir la vie humaine dans son harmonie et sa sérénité ; ce qu’il avait cherché vainement en Italie, ce que Paris ne lui aurait pas donné non plus, il le trouva aux bords de l’Ellé.

Les deux derniers recueils de Brizeux, Primel et Nola et les Histoires poétiques, relèvent de la même inspiration. On a remarqué dans la Fleur d’or la pièce si dramatique et si touchante intitulée Jacques. Un pauvre maçon, nommé Jacques, travaille avec son compagnon sur un échafaudage qui s’écroule ; la planche qui les retient encore est trop faible pour les supporter tous les deux, il faut que l’un périsse afin que l’autre soit sauvé, (c Jacques, dit le compagnon, j’ai une femme et trois enfans. — C’est vrai, » dit Jacques, et il se précipite dans la rue. Ces traits de dévouement, d’héroïsme naturel et simple ne passaient jamais inaperçus pour Brizeux. Il en remplissait sa mémoire, il les racontait à ses amis. Je l’entends encore s’écrier : « Est ce beau ! est-ce beau ! » Et les larmes lui venaient