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nous y trouvâmes beaucoup de nos compatriotes provenant des navires français nouvellement capturés. On ne saurait s’imaginer l’horreur d’une semblable prison. Il n’appartenait qu’aux passions haineuses de cette époque de transformer en cachots des vaisseaux en ruine dont tout concourait à faire des foyers affreux d’infection. C’est là que tant de braves que la fortune avait trahis, et qui eussent mérité les égards d’un ennemi généreux, sont venus expirer dans de lentes tortures. Mon arrivée à bord de ce ponton, si improprement nommé le Bienfaisant, fit une grande sensation parmi les quatre ou cinq cents Français qui nous y avaient précédés. Tous me témoignèrent un vif intérêt, et, je l’avoue, je fus très sensible aux égards que ces malheureux compagnons d’infortune eurent pour moi. Je n’avais d’autre lit que le pont, d’autre couverture que mon manteau, dont fort heureusement on ne m’avait pas dépouillé. Mes pauvres compatriotes oubliaient leurs misères pour compatir aux miennes. Manquant déjà d’espace, ils se serraient encore pour que je ne fusse pas confondu avec les matelots. Ces attentions me pénétraient de reconnaissance. Depuis quatre jours, j’étais à bord du Bienfaisant, lorsqu’un capitaine de vaisseau anglais vint me faire des excuses sur l’indigne traitement qu’on me faisait subir. Il me dit qu’on n’attendait que des ordres de Londres pour apporter un changement convenable dans ma position. J’avais trop de fierté pour me plaindre ; je me bornai à répéter la phrase du capitaine du Minotaur : Fortune de guerre ! À l’issue de cette visite, la dunette du ponton fut mise à ma disposition pour moi et mon état-major, et on me laissa la faculté d’envoyer chaque matin mon domestique à terre chercher des provisions. Enfin, au bout de quinze jours, un canot vint me prendre et me conduisit à Plymouth, où je fus réuni au général Arthur, déjà installé à l’auberge du Globe. On nous fit signer l’engagement de ne point sortir, et, je dois le dire, nous tînmes scrupuleusement notre promesse, d’autant mieux qu’on avait pris soin de placer deux factionnaires à notre porte.

Bientôt après le général Arthur partit pour les eaux de Bath. Je restai seul exposé aux avanies que le trop fameux capitaine Cotgrave, chargé de la police des prisonniers de guerre, prodiguait à nos compatriotes. Mon énergie ne me fut pas dans cette circonstance inutile. N’osant employer la violence, on recula devant ma fermeté, et, au lieu de me conduire dans une nouvelle prison, on me dirigea sur la ville de Tavistock, où je fus autorisé à résider comme prisonnier sur parole. Tous les commissaires des prisonniers ne se ressemblaient pas. Les Anglais avaient placé leurs cerbères à la porte de leurs pontons. Le commissaire de Tavistock, M. Bennet, vint me recevoir à ma descente de voiture. Il me fit les offres les plus aimables