Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/971

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doit interroger M. Muller : comment se fait-il que dans cette histoire de village, qui se passe aux champs depuis six heures du matin jusqu’à minuit, on ne rencontre pas un seul paysage ? A quoi tient l’absence de ce cadre nécessaire à tout roman pastoral ? L’auteur nous répondra peut-être que dans sa préface, un peu trop intime d’ailleurs, il a eu soin d’exposer la scène et de dessiner les décors. En tout cas, c’est un droit qu’il faut savoir refuser à l’écrivain de séparer ainsi de son œuvre ce qui en fait partie intégrante ; c’est oublier, spécialement dans la question qui nous occupe, que le paysage n’a pas de forme absolue, et que les mêmes endroits se décrivent différemment, suivant les personnages et les circonstances. L’auteur s’est dérobé par cette abstention à une grande difficulté, et de plus il a privé son lecteur d’un plaisir qu’il s’attend ordinairement à goûter dans les ouvrages de cette nature. Que dire maintenant du style, ce passeport obligé de toute œuvre littéraire ? Il faut reconnaître que, malgré les qualités qui tiennent au fond du roman, la Mionette est presque entièrement dépourvue des qualités nécessaires de la forme. Pourquoi M. Muller laisse-t-il dans son petit livre des expressions comme celles-ci : Demain nous verrons d’agir, ou je vous garantis d’avoir son adresse… A chaque page, on trouve des je préfère que,… dans le but de… Que M. Muller ne nous dise pas qu’il fait parler des paysans ; cela n’est ni du français, ni du patois, c’est du jargon tout pur, et d’ailleurs pourquoi s’exposer à laisser croire que la recherche du patois couvre l’ignorance, sinon l’oubli, de la langue française ? — A côté de ce livre, nous pouvons en placer un autre qui présente à peu près les mêmes qualités, mais relevées par un élément qui devient de jour en jour plus rare, le romanesque : ce sont les Scènes de la vie contemporaine, par M. Alfred de Bréhat[1]. Des paysages bretons, des situations finement esquissées, des caractères où l’observation se révèle, le tout empreint d’un sentiment mélancolique qui domine les faits sans les exagérer, voilà ce qu’on trouve dans ce recueil de nouvelles d’une lecture assez agréable.

Tous les écrivains n’ont pas à lutter dans leurs travaux contre l’exagération où pourrait, sans qu’ils s’en aperçussent, les entraîner la hauteur de leur sujet. Pour atteindre plus facilement à la simplicité, la plupart choisissent de modestes thèmes, ou brodent de légers dessins sur un canevas peu compliqué. Ce choix est déjà un mérite dont il faut leur tenir compte. Si d’une part, en agissant ainsi, ils s’exposent parfois à se faire reprocher un excès de prudence, d’un autre côté ils ne se soustraient réellement à certaines difficultés que pour en rencontrer de nouvelles, et de plus sérieuses peut-être : celles qui consistent à rendre simplement les choses simples. Le danger en effet est celui-ci : on ne peut reproduire d’après nature, surtout dans la forme classique, ce que la critique littéraire du xvin0 siècle appelait les nobles passions. Il faut nécessairement faire la part de l’invention et aussi de la convention ; mais on peut copier les événemens qui se passent sous nos yeux, calquer les sentimens de la vie ordinaire, les rapporter fidèlement dans la suite vulgaire de leurs péripéties, arriver ainsi sans grands efforts à produire quelque intérêt, et s’abstenir dans cette œuvre facile non-

  1. 1 vol. gr. in-18, Michel Lévy.