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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/98

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Vingt ans je l’ai chanté… Mais si mon œuvre est vaine,
Si chez nous vient le mal que je fuyais ailleurs,
Mon âme montera, triste encor, mais sans haine.
Vers une autre Bretagne, en des mondes meilleurs !


Ainsi le poète était toujours ramené à sa patrie ; qu’on ne croie pas cependant que dans ces beaux vers il s’agisse seulement de la Bretagne. La Bretagne ici, c’est la patrie de l’âme, c’est le domaine de la religion, de la philosophie et de l’art ; le dragon rouge, c’est la toute-puissance de l’industrie et le matérialisme destructeur. Ceux qui voient avec effroi grossir comme un torrent la servile démocratie de notre époque, tous ceux qui combattent pour la défense de l’idéal, pour la cause des idées philosophiques et religieuses, tous ceux qui mettent encore l’esprit au-dessus des sens et l’homme libre au-dessus de l’esclave ont le droit de répéter en leur nom la noble clameur du poète !

J’ai oublié de mentionner deux ouvrages de Brizeux qui complètent sa physionomie, deux ouvrages celtiques et français à la fois, la Harpe d’Armorique (Télen Arvor)[1] et Sagesse de Bretagne (Fumez Breiz)[2]. La Harpe d’Armorique est le recueil des vers qu’il a composés dans sa langue natale pour les paysans de Léon et de Cornouaille. La plupart de ces chants sont bien connus aujourd’hui de Vannes à Kemper et de Kemper à Tréguier. Les bardes rustiques les débitent aux fêtes patronales avec accompagnement de biniou, les métayers les répètent au coin de l’âtre pendant les soirées d’hiver. L’auteur nous en donne ici le texte breton avec une traduction littérale ; il les a traduits ailleurs en beaux vers et les a insérés dans ses poèmes, unissant ainsi ses inspirations populaires à ses inspirations d’artiste, car l’unité est partout dans la vie et les œuvres de Brizeux. Le livre intitulé Sagesse de Bretagne est un petit trésor de proverbes armoricains, « Nous l’avons recueilli, dit le poète, de la bouche même des marins et des laboureurs. » On y sent en effet la saveur du sol et de la mer. Fruits variés de l’expérience, bon sens pratique, finesse joyeuse, profondeur naïve, voilà ce que renferment d’ordinaire les recueils de cette nature ; il y a dans celui-ci des accens imprévus où se révèle une race originale. L’ingénieuse distribution de ces devises en augmente l’intérêt ; vous reconnaissez encore le poète à la manière dont il a lié sa gerbe. L’ouvrage est terminé par une touchante et instructive notice sur M. Legonidec ; le portrait de ce savant homme est à sa place au milieu de ces études celtiques dont il a été le promoteur. Ajoutons à ces curieuses recherches un Dictionnaire de Topographie bretonne, auquel Brizeux a consacré de longues années, et que ses compa-

  1. 1 volume, Lorient 1844.
  2. 1 volume, Lorient 1855.