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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/120

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— Tais-toi, vipère! s’écria Ferréol exaspéré ; tais-toi, ma patience est à bout.

— Jésus Maria! ce que c’est que les gens d’aujourd’hui! répondit la vieille femme sans s’émouvoir le moins du monde. Voyons, est-ce ma faute, à moi, si Rosalie ne veut plus de vous? Elle en a pris un autre; vous en courtisiez bien deux à la fois. Je ne sais qui le lui a dit, mais pas plus loin qu’avant-hier, elle est venue me demander ce qui en était. Elle n’était pas contente, allez; elle sifflait comme une couleuvre. Que devais-je lui répondre? Des mensonges, comme j’en ai entendu il n’y a pas longtemps dans une certaine grotte? La mère Piroulaz n’est pas de ces gens-là. J’ai eu pitié de cette pauvre biche, et je lui ai raconté tout ce que je savais. Qui aurait pu croire qu’elle serait allée trouver Fine-Oreille pour vous dénoncer?

— Me dénoncer! c’est donc elle qui m’a dénoncé? s’écria le jeune homme pâle de colère. Alors malheur à elle et à son amant! Et toi, hors d’ici, vieille sorcière, hors d’ici ! Je ne réponds plus de moi; je ferais un mauvais coup.

Effrayée cette fois, la vieille Piroulaz ne se fit pas répéter l’ordre de sortir. Malgré le douanier, qui était en faction devant la porte de la salle, Ferréol chassa également le père de Rosalie, en déclarant qu’un malheur était inévitable, si on persistait à le lui donner pour compagnon. Une fois hors d’atteinte, les deux vieux bohémiens se mirent à rire tout haut de la scène qui venait de se passer, ce qui ne diminua pas la colère du jeune homme. On eût pu le voir marcher à pas furibonds dans la salle, accablant de malédictions contrebandiers et gabelous, et Joachim, et cette perfide Rosalie, et sa messagère plus odieuse encore. Sa fureur n’était point encore calmée, quand un dernier incident non moins pénible vint y faire diversion, ou plutôt achever d’accabler le pauvre prisonnier.

La nuit approchait, les laboureurs revenaient de toutes parts des champs. A peine instruits de l’événement de la journée, ils couraient à la douane, demandant à voir les prisonniers, parmi lesquels la plupart comptaient des parens ou des amis. L’entrée leur était refusée; ils s’arrêtaient alors devant la caserne, formant des groupes qui grossissaient d’instant en instant. Les sentimens de la population de Mouthe envers Ferréol étaient bien changés depuis l’arrivée de la seconde bande de prisonniers. On l’avait plaint tant qu’on l’avait cru la seule victime; maintenant que chacun croyait devoir lui redemander un frère, un enfant, un mari, la pitié et l’enthousiasme étaient bien diminués. « Où est-il? où l’a-t-on enfermé? » se demandaient les gens les uns aux autres. La vieille Piroulaz indiqua la fenêtre garnie de barreaux.

— C’est cependant lui qui est cause de tout! dit, en traduisant