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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/128

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royale l’introduction de colons asiatiques, et s’en trouvait fort bien. En général, on vantait la docilité, la frugalité, l’intelligence des nouveaux coolies.

Diverses circonstances ne tardèrent pas à modifier cet état de choses : après avoir mis leur activité au service d’autrui, les Chinois commencèrent à songer qu’ils trouveraient plus de profit à l’utiliser pour leur propre compte. Beaucoup d’entre eux, durant leur temps de service, trouvaient moyen, à force d’économie et de persévérance, d’amasser un petit pécule, et ils essayaient d’exercer librement quelque industrie, ou se faisaient rapatrier pour aller de chez eux aux Philippines. D’ailleurs les planteurs ne tenaient pas tous loyalement les conditions stipulées; beaucoup ne semblaient faire aucune distinction entre les noirs, autrefois leur propriété, et les Chinois, simples mercenaires. Le fait qui par-dessus tout ouvrit les portes du Céleste-Empire, et présenta l’émigration sous une forme nouvelle, fut la découverte de l’or. Nous verrons quelle immense impulsion il donna à l’émigration libre. Toutefois les engagemens de coolies, loin d’être suspendus, devinrent plus nombreux, parce que les Chinois des provinces méridionales se portaient en foule dans les ports ouverts aux étrangers. Si le trafic des coolies se développait, les abus se multipliaient aussi : le Chinois était regardé comme une marchandise, et les matelots s’ingéniaient par tous les moyens à le froisser dans ses habitudes et dans ses goûts; avec sa longue queue, sa figure étrange, ses usages nouveaux et bizarres, John Chinaman était le but de constantes railleries. Qu’était-ce d’ailleurs que cet être à face jaune et aux yeux obliques? Une espèce inférieure, un objet de trafic, presqu’un esclave. Livré à la rapacité des agens et à la grossièreté des hommes du bord, l’émigrant n’obtenait ni la protection ni les égards promis; les uns rapinaient sur la ration de riz et de thé, les autres se jouaient durement de lui. Sa queue même, l’objet sacré de sa personne, à laquelle on ne saurait toucher sans exaspérer le Chinois le plus pacifique, n’était pas respectée; les matelots ne connaissaient pas de plus grand plaisir que celui d’en attacher plusieurs ensemble; quelquefois ils allaient jusqu’à les couper. John Chinaman sortait par intervalles de son calme habituel, et se livrait alors à de terribles représailles. Parmi les hommes recrutés au hasard sur le port d’Amoy ou de Shanghaï sans autre garantie que celle de la vigueur physique, beaucoup étaient le rebut de la population, et se tenaient prêts à saisir les occasions de meurtre et de pillage. Aussi ces dernières années ont-elles enregistré plus d’un drame terrible.

A la fin de 1853, une barque anglaise, le Spartan, était partie d’Amoy en destination de Sydney, emportant un chargement de