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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/135

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Le petit nombre de femmes chinoises qui se sont transportées en Californie ont pris pour leur part de commerce la prostitution. Jusqu’en 1851, il n’en vint que fort peu, car les lois qui interdisent l’émigration sont particulièrement sévères en ce qui les concerne. Peu à peu, les profits étant très considérables, le nombre s’en accrut malgré les Chinois mêmes, qui font tous leurs efforts pour les retenir en Chine. C’est, il paraît, la portion la plus indécente et la plus éhontée de toute la population de San-Francisco.

A leurs maisons de jeu les Chinois ont ajouté le divertissement du théâtre : en 1852, une compagnie dramatique régulière arriva de Chine et monta des pièces purement chinoises; l’année suivante, un second théâtre fut ouvert. Ils ont en outre un autre genre de distraction qui offre un caractère religieux, et qui se renouvelle à deux périodes de l’année, au printemps et à l’automne. Ils forment des processions et marchent à leur cimetière en longues bandes séparées avec bannières et musique en tête. Sur leurs larges étendards s’étalent de grands dragons dorés, et ils portent avec eux des viandes de porc et de bouc rôties dont l’odeur est agréable, disent-ils, aux esprits de leurs parens et de leurs compagnons morts. Ils brûlent des pétards, des papiers mystiques, forment des danses bizarres, puis retournent à la ville en procession, comme ils sont venus, pour manger et se réjouir. Tous prennent part à ces fêtes nationales; il y a cependant parmi eux un grand nombre de chrétiens, et une mission s’est installée à San-Francisco même. Ils tiennent d’ailleurs bien profondément à leurs habitudes et à leur pays; un fait singulier en donnera la preuve. Le 26 mai 1856 entra dans le port de Hong-kong un bâtiment qui venait de Californie; pour chargement, il avait trois cents cadavres. Les parens et les amis de Chinois morts les avaient fait exhumer et transporter de Sis-kyiou et de Mariposa à Francisco, puis ils les avaient placés dans de longues caisses, et ils leur faisaient traverser l’Océan pour qu’ils pussent dormir dans le pays de leurs ancêtres. Pour satisfaire à ce soin pieux, ils n’avaient pas craint de dépenser des sommes énormes. À cette occasion, le Daily California écrivait : « La Californie n’a pas de rivale dans l’exportation du Chinois; elle tient le monopole : nous importons le Chinois à l’état brut, vivant; nous le renvoyons manufacturé, mort. »

Ces hommes ont aussi un étrange point d’honneur : il arrive parfois que le débiteur qui ne peut payer ses dettes se tue; la mort règle ses comptes. Il paraît que des femmes même se sont empoisonnées avec de l’opium, ne pouvant pas remplir leurs engagemens. Des espèces de sociétés secrètes et de lois intimes semblent exister au milieu d’eux, diriger leurs actions et amener l’oppres-