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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/14

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convaincu, même ceux qui ont prétendu jusqu’ici au titre d’historien. De là l’immense différence qui sépare jusqu’à présent la science de l’histoire de la science de la nature. Dans celle-ci en effet, le principe de l’existence et de la constance de lois générales auxquelles tous les faits sont ou peuvent être rapportés est dès longtemps placé hors de tout débat. Il règne avec une autorité absolue sur l’esprit des savans. Dans le domaine de l’histoire, si peu d’efforts ont été tentés jusqu’à ce jour, et tentés heureusement, pour y faire prévaloir le même principe, qu’on peut se demander si le succès de la tentative est possible, si la complexité et la multitude des faits ne sont pas telles qu’ils résistent à tout essai de les soumettre aux procédés scientifiques, ou si même il ne serait pas dans leur nature de ne comporter aucune science, c’est-à-dire de ne pouvoir être ramenés à aucune généralisation ni encadrés en aucune loi. Cette question posée en ces termes serait donc la première à résoudre, et si elle devait être négativement résolue, l’histoire comme l’entend M. Buckle serait impraticable, et son livre même n’aurait pas dû être essayé.

Dans cette hypothèse, il faudrait attribuer les phases changeantes et les degrés divers de la civilisation à un aveugle hasard ou à l’action de causes surnaturelles. Or la doctrine du hasard est bientôt démentie par l’expérience. Une tribu qui ne vit que de la chasse peut croire, à la rigueur, qu’elle tient ses alimens du hasard ; mais pour peu qu’elle fasse connaissance avec l’agriculture, elle voit sa nourriture dépendre d’une suite prévue de causes et d’effets, et l’idée d’une connexion nécessaire remplace dans sa pensée celle d’une succession fortuite. Ce sont ces deux idées qui ont donné naissance, l’une à la doctrine du libre arbitre, l’autre à celle de la prédestination. La réflexion engendre la première pour le philosophe, la seconde pour le théologien. L’une est une pure hypothèse prise de l’attribution gratuite à la Divinité d’une toutepuissance purement arbitraire ; l’autre n’est pas moins hypothétique, quoiqu’on prétende la fonder sur le témoignage de la conscience. Quel témoignage, en effet, mérite moins d’être tenu pour infaillible ? N’a-t-il pas historiquement varié suivant l’état des esprits et des mœurs ? Ne fut-il pas un temps, par exemple, où la conscience attestait aux hommes l’apparition des fantômes ? Où est le juge entre la conscience qui trompe et la conscience qui dit vrai ?

Toute action humaine est la conséquence d’un ou plusieurs motifs ; ces motifs résultent de certains antécédens. Si donc nous connaissions la somme des antécédens et les lois qui en régissent le mouvement, nous pourrions avec certitude prévoir la somme des résultats. C’est ce que nous faisons, encore que d’une manière très imparfaite,