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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/153

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dant il appela toujours la princesse veuve du titre de bhaïe (mère), bien qu’elle fût moins âgée que lui. Il pouvait disposer de cinquante mille cavaliers et de dix mille hommes de pied, et pourtant il demeura fidèle à Alya-Bhaïe, sans cesser de se soumettre à la souveraineté du peshwa. Ainsi la paix fut maintenue au dehors, tandis qu’au dedans régnèrent l’union et la concorde. Ces Mahrattes belliqueux et redoutés, sortis de leurs pauvres montagnes pour conquérir des provinces plus riches, obéissaient docilement aux ordres d’une femme dont ils respectaient les vertus et les talens. Il faut avouer que le règne d’Alya-Bhaïe a été une exception dans l’histoire de l’Inde. Restée veuve de bonne heure, cette princesse sut affermir la domination de la famille Holkar sur des provinces récemment conquises. Trop sage pour avoir des favoris, elle conserva pendant trente ans le même ministre; pendant trente ans aussi, elle confia à Touka-Dji un pouvoir et une autorité dont celui-ci n’abusa jamais. Pieuse et même dévote, cette princesse païenne partageait ses heures entre la prière et les affaires du gouvernement. Le principal mobile de ses actions était la crainte de Dieu, et les austérités qu’elle s’imposait au point de nuire à sa santé n’altéraient en rien la douceur de son caractère. On peut dire qu’elle montra les vertus d’une femme chrétienne et les qualités éminentes d’une grande reine. Aussi, sous son règne, les états de Holkar ne cessèrent de prospérer. La ville d’Indore, dont elle avait fait sa capitale, devint une cité considérable et opulente, tandis que les plus turbulens d’entre les chefs tributaires, Radjepoutes, Bheels des montagnes, Gondes du nord de la Nerboudda, contenus dans le devoir par la crainte et par le respect, s’abstenaient de faire des incursions sur le territoire de Holkar, et de troubler les campagnes par leurs déprédations[1].


II.

En 1769, huit ans après la bataille de Paniput, une nouvelle armée mahratte, sous le commandement de Visa-Dji-Kichen, tréso-

  1. Sir John Malcolm a parlé longuement et avec un sincère enthousiasme de cette femme remarquable et de son gouvernement. Après avoir fait allusion à ses pieuses donations, il ajoute : « Chaque jour elle nourrissait les pauvres, et aux grandes fêtes elle donnait des banquets aux classes les plus nécessiteuses. Pendant la saison la plus chaude de l’année, des personnes stationnaient par son ordre sur les routes pour offrir de l’eau aux voyageurs, et au commencement de la saison froide elle distribuait des vêtemens à un grand nombre de ses subordonnés et aussi aux infirmes. Ses sentimens d’humanité envers tous les êtres allaient parfois excessivement loin. Les bêtes de la campagne, les oiseaux de l’air et les poissons des rivières avaient part à sa généreuse compassion. Il leur était accordé des rations de nourriture, et les paysans des environs de la capitale voyaient régulièrement, pendant l’été, leurs attelages de bœufs arrêtés au milieu de leur travail pour être rafraîchis par l’eau qu’apportaient les serviteurs d’Alya-Bhaïe. » Ce sont là des détails charmans et qui nous permettent de surprendre dans ses occupations les plus intimes cette princesse indienne, qui fut le type le plus excellent de la femme accomplie selon le brahmanisme. L’auteur anglais que nous citons résume parfaitement ce qu’il a dit à la louange d’Alya-Bhaïe dans cette phrase remarquable : « Le moins que l’on puisse dire de son caractère, c’est qu’elle apparaît, dans sa sphère limitée, comme l’une des personnes les plus pures et les plus exemplaires qui aient jamais exercé le gouvernement d’un état. Elle nous présente un exemple frappant de l’avantage que, dans les actions de la vie, une intelligence peut retirer de l’accomplissement des devoirs humains subordonnés au sentiment profond de la responsabilité envers le Créateur. »