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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/187

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mandes de récompenses qui ne furent point écartées, mais qui furent assez froidement accueillies. Le ministre me fit répondre qu’il fallait attendre la première promotion. Je ne trouvais ce retard ni juste ni politique; je m’en plaignis donc avec une certaine amertume, et je commis la faute de comparer le combat des Sables à celui du vaisseau le Guillaume-Tell, en rappelant les avancemens que l’amiral Decrès avait à cette occasion obtenus pour ses officiers. Je ne reçus pas de réponse à ma lettre, mais le ministre chargea mon frère de m’inviter à ne plus faire de comparaisons qui le désobligeaient. Je ne savais pas alors que, dans ce combat du Guillaume Tell, on avait plus admiré le courage du commandant que son talent de manœuvrier. Du reste, les officiers et les aspirans de ma division ne perdirent rien à ma vivacité : ils ne furent pas oubliés dans la promotion, qui ne tarda pas à paraître.

Tout semblait alors me sourire. Le vaisseau le Borée, dont l’équipage avait été complété par l’embarquement de deux cents soldats d’artillerie de marine, était en état de présenter le travers à n’importe quel vaisseau anglais, j’en avais la confiance, et mes braves marins, qui se souvenaient du combat des Sables, l’avaient aussi. Trois autres vaisseaux, dont l’armement avait été préparé par mes mains, s’étaient depuis trois mois rangés sous mes ordres. Ils composaient avec le Borée une division dont le commandement devait me fournir l’occasion de gagner mon brevet de contre-amiral. J’étais loin, en ce moment, de prévoir l’affreux malheur qui me menaçait. Le frère que j’aimais si tendrement, et qui avait été l’ange gardien de ma carrière, avait vu sa santé, jusque-là si robuste, s’altérer subitement. Il avait voulu qu’on me dissimulât la gravité de sa situation : il savait que si je l’eusse soupçonnée, j’aurais tout quitté pour aller lui prodiguer mes soins. Aussi m’écrivait-il régulièrement tous les jours. Ses lettres n’étaient que l’expression affectueuse de sa tendresse pour moi et de sa sollicitude pour mon avenir. Il ne me parlait jamais de ses souffrances. La nouvelle de sa mort me frappa comme un coup de foudre. Je me sentis sans force et sans courage contre une pareille épreuve. Bien des années se sont écoulées depuis ce déplorable événement; le temps, qui efface, dit-on, tous les souvenirs, n’a pas encore effacé celui-là de mon cœur.

Est-il donc vrai qu’un malheur n’arrive jamais seul? Le destin prendrait-il en effet plaisir à accabler ceux que sa colère a frappés? J’étais encore consterné de la perte cruelle que je venais de subir, lorsque j’appris que la division dont le commandement eût pu seul apporter quelque distraction à ma douleur allait m’être enlevée. L’officier-général qui commandait l’escadre de l’île d’Aix dans la nuit du 11 avril 1809 avait été envoyé à Toulon pour s’y mettre à la tête d’une flotte de vingt-cinq vaisseaux. Son crédit avait sur-