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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/195

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Si pendant de longues années on avait négligé d’exercer nos équipages, il faut convenir que depuis 1810 c’était un système entièrement contraire qui avait prévalu. Jamais on n’avait déployé plus d’activité que notre nouvel amiral. Nos marins, qui l’adoraient, l’avaient surnommé Tourmentin. Nous manœuvrions du matin jusqu’au soir. Chaque jour, on changeait ou les vergues ou les voiles; on dépassait les mats de hune, et on les repassait aussitôt; puis à l’instant même on appareillait, poussant quelquefois une bordée jusqu’en dehors de la baie de Bertheaume. On en était venu à ne plus tenir compte ni du vent, ni du courant. Rien n’était, disait-on, impossible en marine. Tous les vaisseaux partaient à la fois, comme une volée de perdreaux, sans laisser à ceux qui étaient mouillés le plus en dehors le temps de faire place aux autres; tous revenaient prendre leurs amarres avec un aplomb magistral. Les Anglais, à coup sûr, n’auraient pas mieux fait, et je doute que nos beaux vaisseaux d’aujourd’hui eussent pu nous primer. C’était un spectacle réjouissant pour l’œil d’un chef, et il y avait là de quoi le pénétrer de confiance. Du reste, s’il fut jamais un homme d’honneur et de résolution, c’était bien celui-là. Il avait la franchise et la candeur antiques. Bref, concis, sans emphase, il rêvait secrètement au moyen d’employer d’une manière utile au service de son pays cette escadre qu’il avait mis tous ses soins à former.

Au sud de la presqu’île qui ferme la rade de Brest s’ouvre une autre baie bien plus vaste, mais moins sûre, où les vaisseaux de la croisière anglaise étaient venus s’établir avec une singulière audace. Cette baie est la baie de Douarnenez. Les Anglais y calaient leurs mâts de hune, y réparaient leurs gréemens, calfataient leurs navires, montraient en un mot une telle confiance dans notre longanimité, que je crus devoir entretenir l’amiral des facilités qu’ils nous offraient pour les attaquer. Plein d’ardeur pour la gloire de son arme, l’amiral saisit avec empressement cette pensée. Il réunit en conseil de guerre tous ses capitaines, et leur exposa brièvement son projet. De la tour de Crozon, on dominait la baie de Douarnenez, dont on était tout au plus à une demi-lieue. On voyait les vaisseaux ennemis à l’ancre, et on pouvait suivre tous leurs mouvemens. Il était donc facile de les faire repentir de leur insolente sécurité. Il suffisait pour cela d’appareiller au milieu de la nuit de manière à se trouver à l’entrée de la baie de Douarnenez avant le point du jour. En profitant d’un vent qui s’opposât à la sortie de l’ennemi, on l’obligerait d’accepter le combat sur nos côtes, en vue de nos clochers. Quel motif d’enthousiasme pour nos équipages! L’ennemi, surpris probablement, se défendrait mal; mais, en admettant même qu’il nous fit acheter chèrement le succès, la proximité de notre premier port militaire nous garantissait un refuge