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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/205

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quelques-unes des formules les plus compliquées de l’algèbre littéraire, et il ignore les élémens de l’arithmétique. Un autre défaut qui frappe à la seconde lecture, c’est une intolérable monotonie : du commencement à la fin du livre, la situation ne change pas, la passion jalouse du jeune homme reste immobile et se répète à satiété. C’est moins une passion qu’une idée fixe, une hallucination. Voilà l’impression que laisse l’ensemble du livre; voyons-en les détails.

Fanny peut être regardée comme l’expression concentrée des tendances de la littérature des dernières années. Dans ce petit flacon sont renfermées toutes les essences plus ou moins empoisonnées des œuvres applaudies depuis dix ans. Tout y est : la prétention à la moralité et la crudité lascive, les peintures voluptueuses, l’idolâtrie de la matière. Prenons par exemple ce dernier détail. Le livre, déjà très mince, serait réduit d’un bon tiers, si l’on supprimait les descriptions d’appartemens, de mobiliers, les épithètes soyeuses, veloutées, chatoyantes, par lesquelles l’auteur exprime son extase en face des guéridons et des commodes. Une sorte d’admiration béate, presque dévotieuse, pour les meubles, les tapisseries, les toilettes, s’échappe, comme un parfum de patchouli, de chacune de ces pages. Les confidences du héros au lecteur se partagent entre sa passion et son mobilier. Il n’oublie rien, ce monsieur, de ce qui peut nous donner une bonne idée de son état de fortune. Regardez-le se préparant à recevoir sa maîtresse : « Je baissais les rideaux de brocatelle rose, ramages de grands bouquets; je dressais savamment les tentures de mousseline, et je lissais des mains le couvre-pied capitonné de mon lit. Sur un guéridon de bois des îles, je disposais dans des soucoupes de chine des pâtes sèches, etc.. Mon valet étant congédié par moi jusqu’au soir, je me trouvais enfin maître absolu de mon élégant réduit. » Comment M. Feydeau, qui est évidemment un homme d’esprit, a-t-il pu tomber dans ce philistinisme d’un nouveau genre? Et vous, jeune Roger, qui vous présentez comme ayant l’habitude de la richesse, comment empruntez-vous ces façons de parler à la populace des parvenus récens et des enrichis vulgaires? Ne savez-vous donc pas que les gens bien élevés disent : Je tirai mes rideaux, je mis mes soucoupes sur mon guéridon, sans spécifier si les rideaux sont ramages et si le guéridon est de bois des îles? Et crime plus impardonnable encore, dites-moi pourquoi, vous qui avez l’habitude de dîner en ville, dans de bonnes maisons, vous êtes ébloui, ni plus ni moins que la vulgaire Mme Bovary, par la réverbération des touches de lumière sur les cloches bombées qui couvrent les plats! Cher jeune homme, vous êtes bien puéril pour être intéressant; il est fort à craindre que votre