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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/223

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ce qui lui ressemble, qui substitue les désolations de la guerre et de l’esclavage aux féconds avantages d’un commerce légitime et pacifique. Aussi donnerons-nous au gouvernement français de sincères éloges, s’il procède, comme on le dit, à une enquête sérieuse sur les fâcheuses conséquences qu’aurait pu avoir dans l’application la législation de 1852 sur les engagemens volontaires.

Les sentimens d’humanité qui forment la conscience morale des sociétés modernes viennent d’être mis à une cruelle et triste épreuve, et, par une lamentable rencontre, c’est la plus haute autorité religieuse du monde qui a donné ce scandale contre la justice civile telle que la pratiquent les nations civilisées. Que nos lecteurs se rassurent, nous ne répéterons point les affligeantes controverses auxquelles a donné lieu l’enlèvement du jeune Mortara à sa famille. Nous ne combattrons pas les apologies à la fois odieuses et ridicules par lesquelles on n’a point rougi de défendre un acte qui non-seulement est contraire à la morale naturelle, mais qui, s’il eût été commis en France, aurait été puni par nos tribunaux comme criminel. Le dogme catholique autorise-t-il l’enlèvement d’un enfant juif baptisé clandestinement par une servante avant l’âge de raison, avant l’époque de la vie où un acte de la volonté aussi considérable que le choix d’une religion peut être accompli avec discernement ? Les uns disent oui, les autres disent non. On cite des textes en sens contraire. Nous avons vu seulement avec regret que l’on ait fait figurer parmi les autorités affirmatives Benoît XIV, le spirituel correspondant de Voltaire, ce bon Lambertini, qui recevait à Bologne le président de Brosses, lui contait des histoires salées sur les filles romaines, se faisait-répéter par l’espiègle président les aventures édifiantes du cardinal Dubois, del Bosco, comme il l’appelait, et qui, au conclave où il fut élu, disait avec bonhomie à ses collègues : Se volete un buon c…., pigliate mi. On est fâché d’apprendre que ce pontife bon vivant était d’avis qu’il est juste d’enlever aux Juifs leurs enfans baptisés à leur insu. Les faits prouvent qu’il n’est point vrai que le catholicisme soit aussi absolu que le veulent les défenseurs à outrance des baptêmes clandestins. Si en France un enfant Israélite était baptisé de la sorte, quel est l’évêque qui oserait braver la loi civile pour appliquer dans sa rigueur le droit canon interprété par Benoît XIV ? Si ni en France, ni en Angleterre, ni en Allemagne, le catholicisme n’ose entrer en lutte sur ce point avec la loi civile, il est bien permis de conclure à l’honneur du catholicisme que son dogme ne prescrit point la séparation de l’enfant et du père sous prétexte de baptême. C’est là au surplus une question religieuse devant laquelle nous avouons notre incompétence ; la question politique seule nous appartient.

I-a question politique est grave, c’est une des plus graves de notre temps. L’enlèvement du jeune Mortara est un de ces attentats qui, en éveillant les consciences, révèlent à tous le vice radical d’un système politique condamné. Nous n’attribuons pas aux hommes la faute qui vient d’être commise, nous ne l’imputons point au pape Pie IX : nous en accusons la théocratie et la monstruosité du gouvernement temporel uni dans la même personne au gouvernement religieux. C’est cette dualité contraire aux principes des sociétés modernes qui engendre des contre-sens moraux comme celui dont