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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/232

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REVUE DES DEUX MONDES.

matiques qu’aux dépens de la grâce et du naturel. Il serait injuste cependant de prétendre que M. Graziani n’a pas une certaine expérience de l’art de chanter, et même du sentiment. Si M. Graziani ténor pouvait avoir la voix de son frère le baryton, ou si le baryton avait l’intelligence et l’habileté du ténor, on obtiendrait, par cette fusion, un virtuose qui laisserait peu de chose à désirer. Après la Traviata, on a repris Rigoletto pour les débuts d’une nouvelle cantatrice, Mlle de Ruda, d’origine hongroise. C’est à peu près tout ce qu’on peut en dire, à moins que Mlle de Ruda ne se résigne à descendre au second rang, où elle pourrait être agréable et utile. M. Corsi a eu de très beaux élans dans le rôle du pauvre bouffon, qu’il chante et qu’il joue en véritable artiste qu’il est. La grosse voix de basse de M. Angiolini lui-même s’est éclaircie, et annonce un certain progrès d’assouplissement. Je ne sais plus lequel de mes contradicteurs me reprochait dernièrement d’avoir osé prétendre que le quatuor de Rigoletto était le premier morceau de musique bien écrit que j’eusse entendu de M. Verdi. Il est très vrai que nous avons commis cette énormité[1], que nous voulons aggraver encore en ajoutant que la scène du Miserere du troisième acte du Trovatore, dont nous avons reconnu dans le temps le puissant effet, aurait pu devenir un chef-d’œuvre de l’art musical, si l’auteur avait su mieux en combiner les élémens. Qu’on se rassure, le succès des opéras de M. Verdi ne nous empêche pas de dormir. Nous avons la sérénité et l’assurance que donne la foi, mais la foi qui résulte de l’adhésion de la raison à quelques vérités immortelles dont nous nous efforçons d’appliquer les principes aux œuvres éphémères qui excitent les acclamations de la foule. Une représentation des Noces de Figaro nous console de bien des mécomptes, comme l’audition d’une symphonie de Beethoven nous affermit dans le dédain que nous inspirent ses tristes imitateurs.

L’Italiana in Algieri a succédé à Rigoletto au Théâtre-Italien, mais avec une exécution très imparfaite. Mme Nantier-Didiée, qui s’était chargée imprudemment du rôle d’Isabella, n’a pas la voix, ni le charme, ni l’accent qu’il faut pour cette musique, née du sourire d’un génie éminemment italien. Mme Nantier-Didiée veut absolument avoir une voix de contralto, quand la nature ne lui a donné qu’un mezzo-soprano d’un timbre grêle et vibrottant. Qu’elle reste donc une cantatrice de fantaisie et di mezzo-carattere, comme disent les Italiens, et elle sera toujours la bienvenue, parce qu’elle a du talent et de la distinction. Zucchini a été plein de verve et de bonne humeur dans le rôle de Taddeo, et il ne manque à M. Corsi, pour bien chanter celui de Mustapha, qu’une voix de basse qu’il ne possède pas. Quant au nouveau ténor, M. Galvani, qui s’est essayé dans le rôle de Lindoro, nous dirons qu’il s’est rendu justice lui-même en résiliant son engagement. Mais un succès qui n’est pas contestable, qui a surpris tout le monde, et qui grandira à chaque représentation, c’est la reprise de la Norma avec Mme Penco. Mme Penco nous est apparue il y a trois ans au Théâtre-Italien, où elle a chanté très imparfaitement le rôle de Desdemona, dans Otello, après la Frezzolini, dont on se rappelle la suprême élégance de gentildonna et l’accent pathétique au troisième acte. Mme Penco est allée depuis à Madrid, et ensuite

  1. Voyez la livraison du 1er avril 1857.