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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/24

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d’ailleurs par la fermeté et même par l’élévation de l’esprit, car son esprit était élevé, à défaut de ses doctrines, et c’est toujours une haute pensée que d’aspirer au principe de la science universelle, surtout quand ce principe doit se trouver du même coup le principe de l’histoire, de la société et du gouvernement. Auguste Comte n’a pas moins voulu, pas moins tenté que cela, et il mériterait qu’un critique compétent entreprit de faire connaître sa vie et ses œuvres, et d’exposer sa doctrine en la jugeant. Le public, il faut le dire, est resté trop étranger à tout cela, et lorsqu’il n’y a guère plus d’un an, je crois, Auguste Comte a été enlevé à la science et à ses amis, la France a ressenti à peine la perte d’un homme pour lequel son indifférence surprend quelquefois les étrangers, prêts à nous soupçonner d’ingratitude et d’injustice.

Le grand et à peu près unique ouvrage d’Auguste Comte est d’une lecture difficile. Le Cours de Philosophie positive comprend six énormes volumes où les répétitions abondent et où manque presque tout talent d’exposition. Ni la méthode, ni la dialectique, ni l’expression ne recommandent la pensée, non pas obscure, mais vague. L’aridité et la diffusion répandent sur tout l’ouvrage une monotonie qui en dissimule l’originalité et la hardiesse. Jamais une discussion saisissante ne vient donner aux assertions l’intérêt et la vigueur, et les conceptions les plus fortes et les plus acérées du penseur tombent comme des traits émoussés de la main débile de l’écrivain. Si cependant on surmonte toute cette froideur, si l’on suit l’auteur avec le soin qu’il mérite dans le chemin où il poursuit la vérité, on ne regrettera pas de l’avoir parcouru avec lui, dût-on ne pas en revenir assuré d’avoir avec lui atteint le but qu’il a cru toucher. Non-seulement on aura recueilli des généralités très intéressantes, justes, même neuves, sur les sciences proprement dites, et notamment sur les sciences mathématiques, mais on aura passé en revue tous les élémens d’une doctrine assez bien liée, qu’on peut regarder comme l’effort le plus raisonnable qui ait été fait pour constituer, en dehors de toute théologie et de toute métaphysique, une philosophie scientifique, sociale et politique, conduisant, par un empirisme rationnel, un athéisme spéculatif et une morale utilitaire, à un absolutisme révolutionnaire et à une organisation démocratique.

Auguste Comte était entré dans l’enseignement comme répétiteur d’analyse à l’École polytechnique. Ses leçons devaient être remarquables. Il s’est plaint publiquement de n’être jamais monté dans l’enseignement officiel à un grade plus élevé, et nous ne sommes pas éloigné de craindre que son mérite n’ait contribué à l’obscurité relative dans laquelle il a été maintenu. Quand on entreprend les grandes nouveautés, quand on veut produire une doctrine supé-