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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/258

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J’ai suivi le chemin qui côtoie la mer ; plus tard, il deviendra une grande voie commerciale, car il mène en Kabylie. Pour le moment, c’est un des plus déserts. On n’y rencontre que de rares piétons arabes revenant du marché avec de pauvres convois d’animaux, les tellis (sacs de voyage) vides, les bâts sans charges, et des paquets de cordes lâches flottant autour des harnais ruinés, ou bien, chose plus rare encore, quelques rôdeurs maltais, moitié paysans, moitié matelots, qui vont, après chaque bourrasque, ravager le bord de la mer et recueillir les épaves. Il n’y avait personne dans les champs, où les cultivateurs n’ont plus rien à faire après les semailles, la pluie d’abord et puis le soleil se chargeant du reste. Le temps était gris, très calme, et clair jusqu’aux plus lointains horizons. C’était ce que les habitans de mon pays et du tien, où le hâle est dur, appellent un temps de demoiselle.

À mi-chemin de la Maison-Carrée, je me suis assis sur un petit promontoire écarté. S’il n’y avait eu là beaucoup de cactus et d’aloès, j’aurais pu me croire à quatre cents lieues d’Afrique, sur une côte élevée aussi et toujours déserte d’où se voit une mer qui n’est pas celle-ci. L’impression était la même, la grandeur égale. Aujourd’hui la Méditerranée ressemblait à l’Océan ; elle était pâle et ne roulait plus qu’à de longs intervalles de grands flots tristes, sans force, et dont le bruit diminuait d’heure en heure, à mesure que le calme de l’air s’emparait d’eux. À peine entendait-on vers Matifou le murmure encore sensible d’un orage retenu sans doute au large par le vent contraire. À mes pieds, et si près du flot qu’on eût dit à chaque instant qu’il allait les engloutir, piétinaient des oiseaux de rivage tout à fait semblables à nos oiseaux de France, avec un plumage gris et des ailes pointues. Comme tous les habitans des sables, ils marchent sur des échasses ; leur bec, aiguisé comme un épieu, pique incessamment le sol spongieux des grèves, et leur cri, composé d’un petit soupir aussi ténu que peut l’être un bruit, leur semble donné pour mesurer par sa faiblesse l’énormité des bruits de la mer. Rien n’est plus mélancolique et plus frappant que ce petit oiseau, vivant, courant, chantant à deux pouces du flot, ne s’en écartant jamais, ni pour habiter la terre, ni pour se hasarder dans de longs voyages, traversant au plus, quand il est chassé, les baies étroites, et ne s’éloignant pas de cette mince lisière de sable humide où sa vie se passe. Quand une vague approche, il ouvre ses ailes et l’évite. Où se cache-t-il pendant la tempête ? Il n’est plus là, mais il en est témoin. Il laisse s’apaiser les grandes violences, et sitôt que le rivage devient habitable, il reprend ses familiarités avec la mer.

Je suis rentré vers la nuit, par des chemins sombres, et tout en-