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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/26

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transitoirement métaphysique et finalement positif, par lesquels passe toujours notre intelligence en un genre quelconque de spéculation. Cette succession des états de l’intelligence est celle des phases de la société et de la science, en sorte que la même clé nous ouvre l’histoire abstraite de l’esprit humain et l’histoire réelle de l’humanité. La philosophie positive admet exclusivement pour connaissances véritables celles qui reposent sur des faits observés. Depuis que ce principe de la science moderne a été proclamé, l’ère du positivisme a commencé. Notre éducation européenne, encore essentiellement théologique, métaphysique et littéraire, doit être remplacée par une éducation positive ; ce qui veut dire qu’elle doit se composer exclusivement de ce qui s’apprend à l’École polytechnique, au Muséum d’histoire naturelle, à l’École centrale des arts et des manufactures. L’esprit militaire, presque toujours lié à l’état théologique, l’esprit littéraire, trop souvent dominé par l’état métaphysique, doivent céder la place à l’esprit industriel. L’industrie, c’est la science dans l’action, c’est la physique appliquée. Pour régir une société positiviste, il faut un gouvernement qui le soit aussi, et la philosophie positive est toute la politique.

Les auteurs d’un système le préfèrent ordinairement à tout le reste de leur esprit, et nous aurions médiocrement flatté M. Comte en lui disant que le mérite de son livre est beaucoup moins dans la substance de sa doctrine que dans les vues qu’elle lui suggère sur quelques-unes des sciences physiques et mathématiques. Quand il revient au développement abstrait de son principe général, c’est alors que les limites dans lesquelles se meut sa pensée se font sentir et toucher au doigt, et l’on s’aperçoit de tout ce qu’il n’a ni su ni compris. La plus étrange inconséquence peut-être qui frappe dans l’ensemble des considérations dont il essaie d’appuyer sa thèse, c’est que le partisan aussi déclaré, aussi exclusif de l’esprit de recherche scientifique, qui a depuis la fin du xvie siècle changé la face des connaissances humaines, poursuive d’une haine aussi intolérante toute liberté de la raison, et frappe de condamnations aussi hautaines tout ce qu’a pensé l’humanité depuis trois siècles, chaque fois qu’elle ne s’est pas exclusivement occupée de physique ou d’algèbre. Certes il n’adore pas l’état théologique de l’esprit humain, et il regarde comme à délaisser sans retour toute méditation sur ce qu’il appelle les causes premières et les causes finales. Toute tentative d’une religion, même philosophique, lui paraît désormais un anachronisme ; l’homme a bien autre chose à penser que Dieu. Mais le régime théocratique ne laisse pas de lui inspirer quelque estime, tandis qu’il ne peut trouver dans son cœur assez de mépris pour l’esprit d’analyse et de critique qui lui a succédé. Ce qu’il