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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/271

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pourrait dire que ses parens l’ont baptisé d’après la belle opinion qu’il devait avoir de lui-même. Hassan est un homme entre deux âges, ni beau, ni laid, prétentieux dans sa mise et trop familier pour un Arabe : c’est l’état qui le veut apparemment. Il voit et reçoit toute sorte de gens ; j’entends que les habitués prennent sa boutique comme un endroit public et s’y donnent rendez-vous sans plus de façons que dans la rue.

Suivant sa coutume, il avait nombreuse compagnie. C’était quelque chose comme une soirée bourgeoise. On jouait aux dames et aux échecs ; on fumait dans les pipes du maître de la maison (le râtelier aux pipes de Hassan est le plus richement pourvu du quartier), et le kaouadji d’à côté apportait le café, que chacun payait.

Au moment où nous entrions, un long jeune homme au visage maigre achevait une partie de dames et disait à son adversaire en lui poussant son dernier pion : — « Si tout ce qu’on désire arrivait, le mendiant deviendrait bey. » — C’est un proverbe connu, fit observer Vandell, qui, le prenant aussitôt par la main et l’amenant à moi, me dit : Mon cher, je vous présente l’homme le plus spirituel et le plus lettré des trois provinces, taleb à la zaouïa[1] de , mon ami Ben-Hamida le vaudevilliste. Vous pourrez ensemble causer de Paris, car monsieur l’habite, ajouta-t-il en me désignant, et Siben-Hamida y a vécu.

Si-ben-Hamida, je l’appris de lui-même, est un élève du collège Saint-Louis. Il y passa, faisant ses classes et suivant les cours élémentaires d’histoire et de géographie, les quatre ou cinq années que dura son séjour en France. Le véritable motif de cette éducation parisienne, je ne l’ai pas su et probablement ne le saurai point. Il y a telles existences, dans ce pays des sous-entendus, dont l’origine est assurée de rester douteuse. — J’ai presque tout oublié, me disait-il en cherchant ses mots, et je finirai par ne plus pouvoir parler français.

— C’est un esprit prompt, vif, enjoué, plein de reparties, quand on s’y prête, et qui doit être singulièrement délié. Son éducation, commencée parmi nous, semble avoir développé cei’taines aptitudes on ne peut plus rares chez le peuple arabe , même des hautes classes. Il a la démarche ouverte, la parole expansive, le geste démonstratif, la voix goguenarde, et toujours comme un sourire irrésistible dans le regard. De son passage au milieu de nos universités, il n’a gardé que ce qu’il a voulu : l’amour des lettres et le goût facétieux des proverbes et des calembours. C’est à cause de cette légèreté quasi-française et de cet atticisme littéraire que Yandell l’a surnommé le vaudevilliste. Sa mise était celle des Maures, et

  1. École religieuse.